- Lynn Pype - Griet Verfaillie
- Internet Provider , fournisseurs d’internet , Delfi c. l'Estonie , commentaire , liberté d'expression , réaction illégitime , expression interdite , commentaires diffamatoires , fournisseur de contenu
Le 9 février 2016, la Cour Européenne des Droits de l’Homme s’est à nouveau prononcée sur la
responsabilité des fournisseurs d’internet, et plus spécifiquement des sites d’information, pour
les commentaires que leurs utilisateurs postent sur le site web.
Ce n’est pas la première fois que la Cour a dû se pencher sur cette question. Dans l’arrêt Delfi c.
l’Estonie du 16 juin 2015, qui a déjà été discuté dans un article
précédent publié sur notre site web, la Cour s’était déjà prononcée sur une question
similaire.
Dans l’arrêt Delfi c. l’Estonie, la Cour avait alors estimé que la responsabilité d’un
fournisseur de contenu, tout comme la plupart des sites d’information, peut être maintenue pour les
commentaires des utilisateurs et ne constitue pas nécessairement une infraction à la liberté
d’expression du fournisseur en question. Pour rappel, la Cour en est arrivé à cette constatation à
cause du fait que les utilisateurs de Delfi avaient posté des réactions haineuses sur un article
qui avait été publié sur son site d’information commercial, après que Delfi n’avait pas pris
suffisamment de mesures pour supprimer ces réactions de manière suffisamment rapide.
Il s’agissait là d’un arrêt déterminant, ayant fixé un nouveau standard pour la responsabilité de
sites web commerciaux qui tirent des recettes du contenu des sites web et qui offrent aux
utilisateurs la possibilité de réagir.
Dans l’affaire MTE et Index.hu Zrt c. la Hongrie, cette question est revenue.
MTE est un organe autorégulant à Budapest qui impose des codes éthiques et professionnels aux
fournisseurs de contenu et qui en vérifie l’application. La deuxième requérante, Index.hu Zrt est
le propriétaire d’un des plus grands portails d’information internet en Hongrie.
Les faits précédant cet arrêt sont les suivants.
Un article intitulé (traduction) « un comportement non éthique sur le net », concernant les actes
de deux sites web de management immobilier en Hongrie avait été posté sur le site web de MTE. Cet
article a été republié sur le site web de Index.hu sous le titre (traduction) : « Encore un
scandale de pillage ». Tant MTE qu’Index autorisaient des utilisateurs à poster des réactions. Ces
réactions n’ont pas été modifiées au préalable. Les deux sites web ont attiré l’attention de leurs
lecteurs sur le fait que les réactions ne reflétaient nullement l’avis des fournisseurs eux-mêmes
et que les auteurs des réactions étaient responsables du contenu. En plus, un système « signaler
les abus et supprimer » était prévu. Chaque lecteur pouvait aviser les fournisseurs de réactions
abusives et en demander la suppression.
Les articles ont provoqué différentes réactions qui ont été considérées, par le propriétaire des
sites de management immobilier, comme diffamatoires et celui-ci a entamé par la suite une procédure
contre MTE et Index devant le tribunal hongrois.
Le tribunal hongrois a considéré que les réactions étaient diffamatoires et humiliantes, et estimé
qu’il était porté atteinte à la réputation de l’entreprise immobilière en question. Le tribunal
hongrois a souligné qu’étant donné que MTE et Index offraient à leurs lecteurs la possibilité de
poster des commentaires sur leur site web, ils avaient assumé une responsabilité objective pour les
réactions illégitimes de leurs lecteurs.
Sur cela, MTE et Index sont allés à Straßbourg parce qu’elles étaient d’avis que leur
responsabilité pour les réactions de leurs lecteurs constituait une infraction à leur droit de
liberté d’expression.
En premier lieu, la Cour Européenne des Droits de l’Homme a vérifié la nature des commentaires.
Dans cette affaire, la Cour a estimé que si les commentaires étaient, certes, grossiers et
diffamatoires, ils ne constituaient pas, en tant que tels, une expression interdite. Les
commentaires s’inscrivaient dans le cadre d’une affaire d’intérêt général et la façon dont les
réactions avaient été exprimées était typique de la communication sur les sites d’information
internet.
Dans l’affaire Delfi c. l’Estonie, les commentaires étaient toutefois d’une autre nature.
Quelques utilisateurs ont appelé à la violence, ce qui fait que les discours en tant que tels
pouvaient être considérés comme des messages haineux et pouvaient donc être interdits conformément
à l’article 10 § 2 CEDH.
En plus, la Cour a pris en considération le fait que les sites web de MTE et Index avaient pris des
mesures pour empêcher ou supprimer des commentaires diffamatoires sur les sites web. Il était
indiqué clairement dans les conditions générales que les auteurs des commentaires sont responsables
de leur contenu et que les réactions diffamatoires étaient interdites. En plus, Index disposait
d’une équipe de modérateurs qui était chargé du suivi des réactions postées. Enfin, il était prévu
sur le site web une procédure « signaler un abus », qui permet à tout un chacun de signaler toute
réaction illicite pour que celle-ci puisse être supprimée.
L’appréciation du tribunal hongrois, selon laquelle l’autorisation de commentaires non filtrés
impliquait que MTE et Index pouvaient s’attendre à ce que des réactions illicites soient postées
était, selon la Cour Européenne des Droits de l’Homme, trop extrême. Pareille obligation de
monitoring est exagérée et pourrait saper le droit de partager des informations sur l’internet. En
plus, la Cour a pris en considération le fait que l’entreprise immobilière à laquelle les
commentaires étaient adressés n’avait jamais demandé à MTE ou Index de supprimer les commentaires,
mais avait de suite entrepris des démarches judiciaires. Selon la Cour, le comportement de la
partie demanderesse doit lui aussi être pris en considération dans pareilles situations.
La Cour Européenne des Droits de l’Homme a conclu que la responsabilité objective d’un site
d’information pour les réactions d’utilisateurs d’internet ne peut pas sans plus être acceptée. Il
y a lieu de faire une pondération entre les droits du site d’information et les droits du
plaignant. Il y a lieu d’apprécier à cet égard si les mesures qui sont prises par le site
d’information sont suffisantes pour garantir les droits d’un éventuel plaignant. La Cour conclut
que la mise en place d’une procédure « signaler et supprimer les abus » est dans la plupart des cas
suffisante.
Ce n’est que dans les cas où les commentaires contiendraient des messages haineux qui constituent
une menace directe pour l’intégrité physique de personnes qu’un site d’information peut être
responsable s’il omet de supprimer ces commentaires sans délai, même sans signalement d’une victime
ou d’une tierce partie.
Il paraît contradictoire que la cour indique d’une part qu’un monitoring préalable n’est pas
requis mais accepte en même temps la responsabilité d’un site d’information s’il ne supprime pas
aussitôt ces messages haineux.
Les sites d’information devront eux-mêmes faire cet exercice. Il est indiqué, pour les sites
d’information ou les fournisseurs de contenu en général, d’être plus vigilants devant les réactions
de leurs utilisateurs lorsqu’ils publient des articles qui sont susceptibles de provoquer des
agitations.
En rendant cet arrêt, la Cour Européenne des Droits de l’Homme a apporté un nuancement positif à la
responsabilité des fournisseurs de contenu pour les réactions de leurs utilisateurs et offert un
nouveau fil conducteur aux tribunaux nationaux pour apprécier pareils litiges.