Les indemnités de procédure dans les litiges en matière de propriété intellectuelle mis en question

Case Un arrêt récent de la Cour de Justice ouvre-t-il la porte à la récupération des frais d’avocat auprès de la partie succombante dans les litiges concernant les droits intellectuels ?

1. Actuellement, seule l’indemnité de procédure existe en Belgique

En comparaison avec certaines autres juridictions, les frais d’avocat ne font pas partie, dans le système juridique belge, de l’indemnisation des frais que la partie qui succombe doit supporter dans une procédure judiciaire.

Le système juridique belge connaît par contre bien l’indemnité de procédure.

Cette indemnité doit servir comme intervention forfaitaire dans les frais d’avocat et est déterminée en fonction de la valeur du litige. Pour les litiges qui ne sont pas évaluables en argent, l’indemnité de procédure de base s’élève à 1.440 euros et l’indemnité maximale est de 12.000 euros.

L’indemnité de procédure fait partie des frais judiciaires qui sont supportés par la partie qui succombe.

2. Problématique dans les litiges en matière de propriété intellectuelle

Les litiges en matière de propriété intellectuelle, tels que les actions en cessation, ne sont le plus souvent pas évaluables en argent. La partie gagnante reçoit donc toujours le même montant, en dépit des frais d’avocat qu’elle a dû supporter pour mener sa défense.

3. Le jugement de la Cour de Justice

Le 28 juillet 2016, la Cour européenne de Justice a prononcé un arrêt qui remet en question le montant de l’indemnité de procédure forfaitaire qui, dans un litige en matière de propriété intellectuelle, est accordé à la partie qui a obtenu gain de cause.

Dans les litiges en matière de propriété intellectuelle, il doit en effet être tenu compte des mesures qui sont prises dans la Directive 2004/48/CE du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle. Dans ce contexte, l’article 14 de la Directive dispose que les États membres veillent à ce que les frais de justice raisonnables et proportionnés et les autres frais exposés par la partie ayant obtenu gain de cause soient supportés par la partie qui succombe, à moins que l’équité ne le permette pas.

Sur base de l’article 14 de la Directive, il devrait donc être possible pour la partie qui a obtenu gain de cause de récupérer ses frais d’avocat auprès de la partie succombante, à moins que ces frais ne soient pas raisonnables.

Le système de l’indemnité de procédure ne permet cependant pas cela.

Dans le litige à la base de cet arrêt, les frais d’avocat de la partie qui a obtenu gain de cause s’élevaient à 185.000 euros. L’indemnité maximale de procédure couvre donc seulement une fraction de ces frais.

La Cour d’appel d’Anvers a dès lors posé une question préjudicielle à la Cour de Justice concernant l’explication de l’article 14 de la Directive. La question était de savoir si l’article 14 de la Directive s’opposait à un système de tarifs forfaitaires avec une indemnité maximale absolue en ce qui concerne les frais pour l’assistance d’un avocat, comme d’application dans le système actuel d’indemnité de procédure.

Selon la Cour de Justice, une réglementation prévoyant des tarifs forfaitaires pour le remboursement des honoraires d’avocat est possible à condition qu’elle vise à assurer le caractère raisonnable des frais à rembourser. Il doit pour cela être tenu compte de l’objet du litige, son montant ou le travail à mettre en œuvre pour la défense du droit concerné.

Dans les litiges en matière de propriété intellectuelle, des frais d’avocat réels peuvent être récupérés auprès de la partie succombante, au lieu de demander des indemnités de procédure actuelles

Par ailleurs, la Cour affirme qu’il n’est pas justifié qu’il soit mis en œuvre des tarifs forfaitaires largement inférieurs aux tarifs moyens effectivement appliqués aux services d’avocat dans l’État membre.

La Cour de Justice fait remarquer que cette réglementation rend impossible l’exigence selon laquelle les procédures et les réparations prévues par cette Directive doivent avoir un effet dissuasif. Une telle réglementation porterait donc, selon la Cour, atteinte à l’objectif principal poursuivi par la Directive.

La Cour de Justice ne s’oppose pas au principe que l’intervention dans les frais d’avocat soit fixée forfaitairement par un État membre.

La Cour est cependant bien d’avis que la Directive s’oppose à une réglementation nationale prévoyant des tarifs forfaitaires qui, à cause d’un montant maximal trop bas, ne garantissent pas qu’au moins une partie significative et appropriée des frais raisonnables de la partie qui a obtenu gain de cause soit supportée par la partie qui a succombé.

C’est maintenant à la Cour d’appel d’Anvers de décider si le montant de 12.000 euros est une partie significative et appropriée des frais raisonnables que la partie succombante doit supporter.

Vu l’ampleur des frais d’avocat dans cette procédure, la réponse nous semble négative.

4.    Conclusion

Cet arrêt ouvre la porte à la récupération, dans les litiges en matière de propriété intellectuelle, des frais d’avocat réels auprès de la partie succombante, et à la fin des indemnités de procédure actuelles.

Il est tout à fait possible que le législateur élabore, suite à cet arrêt, un nouveau système d’indemnités de procédure spécifique pour les litiges en matière de propriété intellectuelle. L’indemnité de procédure devra dans ce cas être un reflet réaliste des frais d’avocat usuels qui sont consentis dans de telles procédures.