Le recouvrement international de créances : un arsenal de possibilités

Analyse

Suite à la globalisation et à l’internationalisation du commerce, les entreprises se voient confrontées, de plus en plus souvent, à des débiteurs étrangers, ce qui ne rend pas le recouvrement plus facile. C’est dès lors une bonne chose que la législation évolue de plus en plus vers un recouvrement plus simple et plus facile de dettes internationales.

Supposons : une entreprise belge a une créance sur un acheteur français, mais celui-ci refuse de payer ses dettes. La société belge veut saisir les biens mobiliers de l’acheteur en France. Quelles démarches doit-il entreprendre à cet effet ?

Quid si un créancier hollandais désire opérer une saisie sur une voiture d’un débiteur français qui se trouve à ce moment-là en Belgique ? Cette procédure est-elle différente lorsque l’on veut opérer une saisie sur son appartement à la côte belge ?

C’est ce genre de questions avec lesquelles l’entrepreneur se voit confronté de plus en plus souvent dans la pratique. Ces dernières années, plusieurs initiatives ont été prises au sein de l’U.E. afin de simplifier et accélérer les choses.  Nous essayons de vous donner ci-dessous un aperçu des règles et procédures applicables en matière du recouvrement international de dettes (dans l’U.E.).

1. En tant que créancier, vous avez besoin d’un titre exécutoire

La première démarche à entreprendre en vue du recouvrement d’une créance consiste à envoyer une sommation au débiteur, dans laquelle celui-ci est prié, voire sommé, s’il échet, de payer le montant dû. Si le débiteur refuse de payer volontairement, le créancier doit procéder à « l’exécution », p.ex. en opérant une saisie-exécution sur les biens du débiteur.

Outre la saisie-exécution, le créancier a également la possibilité d’opérer une saisie conservatoire sur les biens du débiteur (p.ex. son habitation, ses actions, son compte bancaire). A cet égard, le débiteur conserve la propriété de ces biens, mais ceux-ci sont pour ainsi dire bloqués de manière à éviter qu’il ne les donne ou vende. Pour pouvoir opérer une saisie conservatoire, il n’est pas requis de titre exécutoire, mais d’autres conditions doivent être remplies, telle que « l’urgence ». Nous ne nous attarderons pas ici sur la saisie conservatoire.

Pour pouvoir procéder à « l’exécution », un titre dit « titre exécutoire » est indispensable. Ce titre est par exemple un jugement d’un tribunal ou un acte notarié dans lequel il est indiqué que le débiteur est redevable au créancier d’une somme d’argent.

Si le créancier ne dispose pas d’un acte notarié ou d’une autre forme quelconque de titre exécutoire, il devra citer le débiteur devant le tribunal compétent.

Ensuite, il apparaîtra que pareilles démarches ne sont pas toujours nécessaires, même dans les affaires qui présentent un caractère transfrontalier.

D’abord, nous aborderons le caractère exécutoire transfrontalier de jugements obtenus après une telle action judiciaire.

2. Déclaration de force exécutoire

Le Règlement dit Bruxelles I-bis (12.12.2012) a provoqué un changement important au niveau de l’exécutabilité transfrontalière. Depuis lors, un jugement d’un Etat membre de l’U.E. peut être exécuté dans un autre Etat membre de l’U.E. sans qu’une déclaration de force exécutoire ne doive être émise par le tribunal local dans l’Etat membre exécutant.

Avant, il fallait également que le créancier obtienne, dans l’Etat membre où il entendait pratiquer la saisie, une déclaration de force exécutoire auprès du tribunal (également connue comme « exequatur »).

Depuis le Règlement Bruxelles I-bis, il suffit que le créancier demande auprès du tribunal où la décision initiale a été prononcée, une copie du jugement ou de l’arrêt, muni d’un certificat d’où il apparaît que la décision est exécutoire.

Ainsi, il suffit pour notre créancier hollandais qui dispose d’un jugement français (et donc d’un titre exécutoire) contre son débiteur français, de demander par écrit au tribunal qui a rendu le jugement de délivrer une déclaration de force exécutoire. Celle-ci lui permettra de faire exécuter le jugement en Belgique et de faire opérer une saisie sur un bien mobilier du débiteur situé en Belgique (par exemple une voiture).

3. Procédure RCI dans un contexte B2B

Une procédure devant le tribunal national peut traîner très longtemps.  Pour cette raison, tant le législateur belge que le législateur européen ont créé divers instruments permettant d’obtenir de façon accélérée, voire parfois extrajudiciaire, un titre exécutoire.

Si tant le débiteur que le créancier agissent comme des professionnels (dans une relation dite B2B), une procédure spécifique qui consiste à obtenir, par l’intermédiaire de l’avocat et de l’huissier de justice, un titre exécutoire, sans intervention du tribunal, peut être appliquée en Belgique.

Cette procédure est également appelée la procédure de Recouvrement des Créances Incontestées ou la procédure RCI. Il est requis pour cette procédure qu’il s’agisse d’une dette d’argent incontestée entre professionnels qui est liquide et exigible au moment de la sommation de payer.

Avant, cette procédure n’était ouverte qu’aux seuls professionnels inscrits en Belgique à la Banque-Carrefour des Entreprises.

Récemment, cette procédure a été ouverte indirectement aux professionnels de quelques autres Etats membres UE. Par arrêté royal, des banques de données comparables ont été assimilées à la Banque-Carrefour des Entreprises belge. Il s’agit des banques de données des Pays-Bas, de la France, de l’Allemagne, du Luxembourg, de l’Italie, de l’Espagne et de l’Autriche.

Les entreprises de ces pays auront certainement recours à cette procédure RCI accélérée en Belgique si leur débiteur professionnel est établi en Belgique.

Ainsi, une entreprise française qui a une créance incontestée sur un acheteur belge pourra utiliser la procédure RCI belge pour obtenir plus rapidement un titre exécutoire.

Les entreprises belges pourront elles aussi avoir recours de plus en plus souvent à des procédures similaires dans les Etats membres européens.

4. La procédure européenne d’injonction de payer

La procédure européenne d’injonction de payer est une procédure européenne qui simplifie la voie vers un titre exécutoire en cas de créances internationales.

Contrairement à la procédure RCI, il n’est pas requis que les deux parties soient des professionnels. La procédure peut également être utilisée, par exemple, en cas de dettes entre particuliers.

Il faudra bien tenir compte, cependant, du fait que certaines matières sont exclues du champ d’application de la procédure, telles notamment (1) les régimes matrimoniaux du mariage et d’autres formes de cohabitation similaire, (2) les successions et les testaments, (3) l’insolvabilité, (4) la sécurité sociale, (5) les obligations non contractuelles telles que les obligations découlant d’un acte illégitime qui font l’objet d’une convention ou d’une reconnaissance de dette.

La procédure est introduire au moyen d’un formulaire-type qui est envoyé au tribunal compétent et qui indique le montant précis réclamé, le montant des intérêts et des frais et l’exigibilité du montant.

Après que le tribunal aura reçu le formulaire-type, il décernera une injonction de payer qui est signifié au débiteur.

Ici aussi, il faut que la créance soit incontestée. En cas de défense du débiteur, la procédure d’injonction de payer européenne prend fin et devient en principe une procédure nationale « normale ».

A défaut de défense, l’injonction de payer est déclarée exécutoire, ce qui fait que le créancier obtient un titre exécutoire de manière accélérée.

La procédure d’injonction de payer est un instrument pratique qui est applicable en cas de litiges transfrontaliers entre les sujets des Etats membres. Ainsi, p.ex. un créancier belge peut introduire une telle procédure contre un débiteur espagnol, tout en ayant le choix d’introduire les formulaires en Belgique ou en Espagne.

5. Procédure européenne pour les petits litiges

La procédure européenne pour les petits litiges a été instaurée en 2007 et est, en principe, une procédure écrite.

Elle peut être appliquée dans les affaires civiles et commerciales à caractère transfrontalier dont le montant ne dépasse pas les 5.000 EUR.

Tout comme la procédure d’injonction de payer, elle peut être utilisée en cas de dettes entre particuliers.

Une deuxième similarité avec la procédure d’injonction de payer est que la procédure pour les petits litiges peut être introduite au moyen d’un formulaire-type qui est envoyé au tribunal compétent et dans lequel sont exposés brièvement le montant de la créance, les intérêts et les frais. Si besoin en est, ce formulaire est accompagné de pièces justificatives pertinentes et probantes.

Après la réception de ce formulaire et des pièces éventuelles, le tribunal en envoie une copie à la partie adverse, accompagnée d’un formulaire de réponse pour le cas où la créance serait contestée.

La plus grande différence par rapport à la procédure d’injonction de payer consiste dans le fait que la procédure pour les petits litiges n’est pas automatiquement cessée ni ne passe en procédure nationale « normale » lorsque la créance est contestée par le débiteur. En cas de contestation par le débiteur, la procédure est simplement poursuivie dans le même cadre et devant le même juge, qui prend acte des arguments du débiteur et finalement prononce un jugement.

Le tribunal peut même organiser une instruction verbale de la cause s’il le juge utile ou si une partie le demande. Il peut tout aussi bien refuser pareille demande s’il estime qu’une procédure honnête dans cette affaire n’appelle apparemment pas d’instruction verbale. Si le tribunal dispose des moyens technologiques nécessaires, l’instruction verbale peut également être organisée par vidéoconférence ou par d’autres formes de technologie communicative.

Après l’appréciation des formulaires et des pièces par le tribunal, elle statue sur l’affaire. Cette décision produira un titre exécutoire sur la base duquel le créancier peut opérer une saisie dans les Etats membres européens.

6. Saisie-exécution immobilière

Comme déjà mentionné ci-dessus, un huissier de justice belge peut opérer une saisie sur des biens mobiliers situés en Belgique à la condition qu’il dispose d’un titre exécutoire. Dès que le créancier dispose d’un titre exécutoire (accompagné d’une déclaration de force exécutoire en cas de jugement dans un autre Etat membre), aucune autre intervention judiciaire ne sera plus requise.

Cependant, les choses sont différentes lorsque le créancier entend opérer une saisie sur des biens immobiliers situés en Belgique.

Dans ce cas, l’intervention additionnelle du tribunal compétent de l’arrondissement judiciaire où se situe le bien immeuble est requise. Cette forme de saisie est censée être si lourde de conséquences qu’un contrôle judiciaire additionnel par un tribunal local est prescrit. Le juge des saisies doit alors vérifier la régularité de la procédure et désigne le cas échéant un notaire qui est chargé de la vente publique du bien immeuble.

Pour cette raison, le créancier français de l’exemple qui entend opérer une saisie sur l’appartement du débiteur à la côte belge doit d’abord déposer une requête en désignation d’un notaire auprès du tribunal territorialement compétent. Une fois que le juge aura désigné un notaire, après avoir vérifié la régularité de la procédure, ce dernier devra suivre une procédure bien déterminée qui conduira finalement à la vente publique du bien immeuble.

7. Conclusion

Lorsqu’un débiteur d’un autre Etat membre UE continue à refuser de payer après sommation, le créancier a tout intérêt à obtenir un titre lui permettant d’opérer une saisie-exécution sur ses biens. Dans les litiges transfrontaliers, le créancier dispose de quatre possibilités pour obtenir un titre exécutoire.

En raison des conditions qui sont liées à chacune de ces procédures particulières (créances incontestées B2B dans la procédure RCI, caractère incontesté dans la procédure d’injonction de payer, la limite de 5.000 euros dans la procédure pour les petits litiges, …), le créancier n’aura pas toujours le choix entre toutes ces procédures et dans certains cas il restera contraint d’avoir recours à une procédure « normale » devant le tribunal.

L’exécution à l’étranger d’un jugement ou d’un arrêt découlant d’une telle procédure est possible grâce à une déclaration de force exécutoire.

Pour savoir si cette procédure doit être introduite dans le pays du créancier ou dans le pays du débiteur, il faut également tenir compte des règles de compétence du Règlement Bruxelles I-bis.

Le fait est que chaque cas spécifique exige une approche sur mesure, l’une ou l’autre des procédures étant préférable pour tel ou tel cas.

Il va sans dire que nous aurons le plaisir de vous conseiller et de vous assister à ce sujet, info@seeds.law ou +32 (0)2 747 40 07.

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