- Droit Social
- Marcel Houben
- fraude sociale , mise à disposition , autorité , sécurité sociale , application , UE , abus de droit , détournement , évitement , faux indépendant
Par la première mesure, la loi du 24 juillet 1987 sur la mise à disposition de travailleurs
à des utilisateurs est rendue plus stricte. Cette loi interdit à l’employeur de mettre ses
travailleurs à la disposition d’un tiers, dans l'hypothèse où ce tiers exerce une autorité sur
les travailleurs. Ce principe a été rendu plus souple en 2000 par l’autorisation à l’utilisateur de
donner des instructions aux travailleurs dans certains domaines bien définis.
Cet assouplissement a de nouveau été affaibli : seule l’exercice de l’autorité par l’utilisateur
dans le contexte du respect de ses obligations en la matière du bien-être au travail reste
autorisée sans formalités supplémentaires.
L’exercice de l’autorité par l’utilisateur sur les travailleurs mis à la disposition dans d’autres
domaines (à titre d’exemple, le temps de travail et le temps de repos, l’exécution du travail
convenu) sera dès à présent possible uniquement en vertu d’un contrat entre l’employeur et
l’utilisateur, à condition que
- les instructions, que l’utilisateur est autorisé à donner aux travailleurs, soient décrites dans
le contrat d’une manière explicite et détaillée ;
- ce droit du tiers de donner des instructions ne porte pas atteinte à l’autorité dont dispose
l’employeur ;
- l’exécution pratique de ce contrat entre l’employeur et l’utilisateur corresponde entièrement aux
stipulations du contrat.
Le législateur ne détermine donc pas une distinction claire entre ce qui est permis et ce qui ne
l’est pas. Le critère est « l'érosion de l’autorité" dont dispose l’employeur des
travailleurs mis à disposition. Dans certains domaines il est clair que l’utilisateur ne peut pas
intervenir, comme, par exemple, le licenciement (pour motifs graves ou autrement), le niveau du
salaire, le transfert du travailleur vers une nouvelle mission, … etc. Néanmoins, la zone grise
reste très large.
En outre, l’utilisateur est tenu de soumettre le contrat immédiatement au conseil d’entreprise
ainsi que, à la demande des représentants du personnel au sein du conseil d’entreprise, de
soumettre une copie de la partie du contrat, dans laquelle les instructions autorisées sont
définies d’une manière explicite et détaillée. Si l’utilisateur ne respecte pas ces obligations, le
contrat est censé ne pas exister. A défaut d’un conseil d’entreprise, le comité pour la prévention
et la protection au travail assume ce rôle et, à défaut d’un comité, la délégation syndicale est
compétente.
Il importe donc de rédiger un tel contrat d’une manière précise et de veiller à ce que le contrat
soit scrupuleusement exécuté, en d’autres termes que la pratique corresponde à la théorie.
Les sanctions en cas de violation sont assez sévères : des sanctions pénales (amendes) ainsi que
des amendes administratives peuvent être imposées ; également l’interdiction d’exploiter
l’entreprise, l’interdiction professionnelle et la fermeture de l’entreprise figurent parmi les
sanctions éventuelles. L’utilisateur sera en outre censé être l’employeur des travailleurs et,
ensemble avec l’employeur, il sera solidairement responsable pour le paiement du salaire, du pécule
de vacances, des indemnités de rupture, etc..
Particulièrement dans les cas où la distinction entre la soustraitance et la prestation de services
devient trouble, la plus grande prudence est de rigueur !
La deuxième mesure concerne l’application des règles européennes de coordination en matière de
la sécurité sociale : dans les cas où deux ou plusieurs états-membres de l’UE sont concernés par
l’emploi de (un) travailleur(s) (par exemple l’emploi de travailleurs dans un état-membre de l’UE
autre que l’état-membre où l’employeur est établi ; le détachement temporaire vers un autre
état-membre ; l’emploi d’un travailleur dans deux ou plusieurs membres de l’UE) la législation
applicable en matière de la sécurité sociale est désignée conformément aux règlements européens de
coordination. En cas d’abus de ces règles européennes en vue de se soustraire à la sécurité
sociale belge, ces mesures sont applicables.
Pour l’application de ces mesures, il est question d’un abus si les règlements européens de
coordination sont appliqués afin de se soustraire à la sécurité sociale belge dans des situations,
dont les conditions, qui sont fixées par les règles européennes, ne sont pas respectées, et ce pour
autant que la sécurité sociale belge aurait dû être appliquée si les règles européennes auraient
été respectées correctement. L’organisme, qui invoque l’abus, doit en apporter la preuve.
Si un abus est constaté par le juge, l’ONSS ou l’inspection sociale, le travailleur (ou, selon le
cas, le travailleur indépendant) est assujetti à la sécurité sociale belge dès le moment où il
aurait dû être assujetti à la sécurité sociale belge, tout en tenant compte des délais de
prescription applicables.
Par conséquent, il en résulte que la sécurité sociale belge peut s’appliquer et que le paiement des
cotisations peut être exigé avant que le formulaire A1, émi par les autorités de sécurité sociale
de l’autre état-membre de l’UE, ne soit retiré. La récupération accélérée des cotisations de
sécurité sociale par l’ONSS est donc rendu possible : en effet, en cas de contestation entre deux
autorités nationales de sécurité sociale concernant la question si un formulaire A1 a, oui ou non,
été établi à juste titre, cette contestation devait être résolue en principe au préalable. L’ONSS
ne doit donc plus attendre la solution de ce conflit pour encaisser (le cas échéant
rétroactivement) les cotisations. Par conséquent, en attendant la solution de ce litige, les deux
états-membres de l’UE peuvent réclamer le paiement des cotisations, à savoir, d’une part, l’ONSS en
vertu de ces nouvelles dispositions, et, d’autre part, l’organisme de sécurité sociale de
l’état-membre de l’UE, qui a émis le formulaire A1.
Il faut être prudent afin d'éviter des situations extrêmement compliquées et les efforts
nécessaires pour les résoudre, soyez très prudent !
La troisième mesure concerne la lutte contre les abus de droit social par le détournement de la
loi et l’évitement de la loi. il est question d’un tel abus lorsqu’une personne par le biais
d'un acte juridique ou de la qualification d’un acte juridique, se met, contrairement aux
objectifs visés par une (des) dispostion(s) de droit social, soit en dehors de celle(s)-ci, soit
sous l'application de celle(s)-ci. Ceci peut se réaliser par un détournement de la loi, ce qui
est illégal, ou par un évitement de la loi, ce qui ne constitue pas une violation d’une stipulation
légale.
Un exemple-type d’un détournement de la loi est l’exercice d’une activité professionnelle en tant
que faux indépendant. Dans une telle situation, les parties créent l’impression qu’une personne
travaille en tant qu’indépendant pour une autre personne, qui exerce ou peut exercer une autorité
sur la première personne, qui est donc en fait un travailleur. L’intention est évidemment de se
soustraire à l’application de la législation en matière de sécurité sociale pour travailleurs.
Une structure de coopération par l’intermédiaire d’une société de gestion peut servir comme exemple
d’un évitement de la loi, pour autant que l’intention des parties est d’éviter par cette structure
l’application de la législation en matière de sécurité sociale. Du point de vue strictement
juridique, aucune disposition légale n’est violée.
Les institutions, qui peuvent invoquer ces nouvelles mesures, sont les organismes publiques,
chargés de l’application de la législation en matière de sécurité sociale, comme l’ONSS et
l’INASTI, les organismes de droit privé qui ont été agréés à participer à l’application de la
législation en matière de sécurité sociale, comme les mutuelles, et l’inspection sociale.
Dans le cadre de la lutte contre les détournements de la loi, aucune nouvelle mesure n’était
nécessaire, parce qu’il s’agit en tout état de cause d’une violation des dispositions légales.
Néanmoins, les nouvelles mesures peuvent également être invoquées par les organismes et
l’inspection sociale dans le cas d’un détournement de la loi : un détournement de la loi implique
l’intention des parties de se soustraire à l’application d’une disposition légale ou de ressortir
d’une disposition légale. Souvent les organismes avaient beaucoup de difficultés pour apporter la
preuve d’une telle intention. En vertu des nouvelles mesures, il suffit que l’organisme apporte les
preuves d’éléments objectifs d’un détournement de la loi. Il en résulte que l’acte juridique, qui
fait l’objet du détournement de la loi, n’est pas opposable à l’organisme ou à l’inspection
sociale. Par conséquent, l’organisme peut récamer le paiement des cotisations ou refuser le
paiement d’une allocation. Afin d’annuler cette non-opposabilité, la personne doit prouver par des
éléments objectifs qu’il n’y a pas question du tout d’une intention malhonnête quelconque. La
charge de preuve est donc renversée dans un certaine mesure.
Les mêmes principes s’appliquent en cas d’un évitement de la loi. La position des organismes et de
l’inspection sociale est donc certainement renforcée dans ces cas, parce qu’en cas d’un évitement
de la loi, il n’y a pas question d’une violation quelconque d’une disposition légale et, par
conséquent, les organismes et l’inspection sociale se trouvaient dans une situation d’impuissance
pour réagir.
Les abus en question, qui tomberont dans la pratique sous l'application de ces dispositions,
doivent encore être déterminés par un arrêté royal, et doivent donc encore recevoir l'avis du
Conseil National du Travail et le Conseil des ministres. L’impact réel des nouvelles mesures ne
pourra donc être évalué qu’après un certain temps.