Case

En vertu de l'arrêt de la Cour constitutionnelle du 1er décembre 2022, une juridiction devant laquelle la Cour de cassation renvoie une affaire pour l’appréciation sur le fond, n'est plus liée par l'arrêt de cassation en ce qui concerne le point de droit tranché, si cet arrêt de cassation est contraire à un arrêt de la Cour de justice rendu après que la Cour de cassation a statué sur l'affaire.  

La Cour constitutionnelle répond ainsi à une question préjudicielle concernant l'article 435, alinéa 2, du Code d’instruction criminelle, qui stipule que la juridiction à laquelle la Cour de cassation renvoie une affaire est tenue de se conformer à l’arrêt de la Cour de cassation sur le point de droit tranché par celle-ci. 

Cour constitutioneel - Seeds of Law

1. Ce qui a précédé (en bref)

Une personne reçoit un nouveau permis de conduire belge le 14 décembre 2012 après avoir signalé la perte de son précédent permis. L'intéressé s'installe aux Pays-Bas où, le 18 juin 2015, il échange son permis de conduire belge contre un permis de conduire néerlandais.  

Or, les autorités compétentes néerlandaises ont constaté que le permis de conduire belge que cette personne a remis aux Pays-Bas portait le même numéro que celui qu'elle avait déclaré perdu le 14 décembre 2012. 

Le 28 octobre 2016, le tribunal de police de Flandre occidentale, division de Bruges, a condamné cette personne à la peine de déchéance du droit de conduire des véhicules à moteur pour une période de trois mois. La personne ne pourra être réintégrée dans le droit de conduire qu'après avoir réussite d’examens et passé de tests médicaux et psychologiques.  

La personne fait appel de ce jugement du tribunal de police devant le tribunal de première instance Flandre occidentale, division de Bruges, qui a confirmé le 30 juin 2017 le jugement du tribunal de police du 28 octobre 2016. 

Cet arrêt du 30 juin 2017 fait l'objet d'un pourvoi devant la Cour de cassation, qui l'annule par son arrêt du 11 septembre 2018. La Cour de cassation estime que le tribunal de première instance de Flandre occidentale avait donné à la législation belge une interprétation incompatible. Cette interprétation ne serait pas compatible avec la directive 2006/126/CE relative au permis de conduire, telle qu'elle a été interprétée par la Cour de justice dans un arrêt du 26 avril 2012. 

La Cour de cassation a renvoyé l'affaire au tribunal de première instance de Flandre orientale, division de Gand, pour une appréciation sur le fond.  

2. Pourquoi le tribunal s'est sentie obligée de poser une question préjudicielle à la Cour constitutionnelle ? 

Le juge de Gand a constaté que l'arrêt de la Cour de cassation pouvait être contraire à l’arrêt que la Cour de justice avait entre-temps rendu le 28 octobre 2020, c'est-à-dire après que la Cour de cassation ait rendu son arrêt. 

Le juge de Gand a été confronté à un choix problématique. D'une part, conformément à l'article 435, alinéa 2, du code d’instruction criminelle, il est tenu de se conformer à l'arrêt de la Cour de cassation relatif au point de droit tranché. D'autre part, le droit européen prime sur le droit national, et - en cas de décisions contradictoires - il doit faire prévaloir la jurisprudence de la Cour de justice. 

Cette disposition légale peut donc avoir pour effet qu'une juridiction de renvoi est tenu de respecter l'arrêt de la Cour de cassation alors que toute autre juridiction saisie d'une affaire identique, qui n'a pas été cassée devant la Cour de cassation, n'est pas liée par cette jurisprudence de cassation. 

Le tribunal de Gand a donc soumis une question préjudicielle à la Cour constitutionnelle.  Après tout, il se trouvait confronté à deux obligations contradictoires. 

3. La question préjudicielle que le tribunal a posée à la Cour constitutionnelle  

Le tribunal de Gand a posé deux questions préjudicielles à la Cour constitutionnelle, dont la première nous intéresse ici.  

Sa question est de savoir si la disposition précitée du Code d’instruction criminelle viole le principe d'égalité et de non-discrimination (art. 10 et 11 de la Constitution) et le droit d'accès aux tribunaux (art. 13 de la Constitution), lu en combinaison avec le droit à un procès équitable (art. 1 Convention européenne des droits de l'homme), dans la mesure où une juridiction devant laquelle la cause a été renvoyé après cassation, est tenu à se conformer à l'arrêt de la Cour de cassation et lui interdit de s’adapter à l’évolution de la doctrine et de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle et la Cour de justice, alors que  toute autre juridiction saisie d'une affaire identique dans les faits, qui n'est pas venue devant la Cour de cassation, n'est pas liée par cette jurisprudence de cassation. 

4. L'arrêt de la Cour constitutionnelle

Le 1er décembre 2022, la Cour constitutionnelle a jugé que l'article 453, alinéa 2, du code d’instruction criminelle viole, en obligeant une juridiction devant laquelle la Cour de cassation renvoie une affaire, à se conformer à l'arrêt de cette Cour, en ce qui concerne le point de droit tranché, les principes d'égalité et de non-discrimination (art. 10 et 11 Gw.), le droit d'accès à la justice (art. 13 Cw.), lu en combinaison avec le droit à un procès équitable (art. 6.1 CEDH), lorsqu’elle estime que l’appréciation en droit de la Cour de Cassation est contraire à un arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne postérieur à l'arrêt de la Cour de cassation. 

Le jugement ou l'arrêt qui s'écarte de l'arrêt de la Cour de cassation doit également faire l'objet d'un nouveau pourvoi en cassation. 

5. Conclusion

Le tribunal n'était en fait pas obligée de poser cette question à la Cour constitutionnelle. Après tout, le droit européen, y compris la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union Européenne, prime sur le droit national. Telle est la hiérarchie des normes dans l'Union européenne (à l'exception de quelques États membres indisciplinés). 

La Cour constitutionnelle aurait donc pu également juger que la question n'avait pas à être posée, compte tenu de la hiérarchie des normes et le fait que la Cour de cassation avait déjà jugé, dans son célèbre « arrêt fromage à tartiner » du 27 mai 1971, que les traités à effet direct priment sur les lois nationales, y compris la Constitution. 

Par conséquent, à la suite de l'arrêt de la Cour constitutionnelle examiné ici, le législateur ne devra pas modifier l'article 435, paragraphe 2, du code de procédure pénale. Il suffit de respecter la hiérarchie des normes. 

Le Code judiciaire contient une disposition similaire à l'article 435, alinéa 2, du Code de procédure pénale, à savoir l'article 1110, alinéa 4, du Code judiciaire. Même dans ce cas, la hiérarchie des normes s'applique ; la priorité doit être donné à la jurisprudence plus récente de la Cour de justice. Par conséquent, l'arrêt de la Cour constitutionnelle du 1er décembre 2022 s'applique également mutatis mutandis à l'article 1110, paragraphe 4, du Code judiciaire.  

Si vous avez des questions à ce sujet, n'hésitez pas à contacter nos spécialistes info@seeds.law ou au +32 (0)2 747 40 07. 

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