Analyse Les conventions d’option peuvent, dans certaines circonstances, être considérées contraires à l’interdiction de la clause léonine, à savoir la prescription impérative qui interdit les clauses statutaires ou les conventions entre associés par lesquelles l’un d’eux est exonéré de contribuer aux pertes.

Plus généralement, l’objet de l’apport de chaque associé doit être soumis au risque de l’activité sociale.

Lorsque la stipulation de détermination du prix contenue dans la convention d’option a pour conséquence que le bénéficiaire de l’option peut sortir de la société à un prix qui lui garantit qu’il ne subit pas de perte sur son apport initial, cette convention pourrait être concernée par l’article 32 du Code des Sociétés (ci-après « Code des Soc. »).

En ce moment, un silence relatif règne au sein de la jurisprudence et de la doctrine concernant la clause léonine, bien que pareille clause léonine soit toujours à l’ordre du jour à la table de négociation lors d’un achat d’actions.

1. Clause léonine

Les conventions qui donneraient à l’un des associés la totalité des bénéfices sont nulles. Il en est de même de la stipulation qui affranchirait de toute contribution aux pertes, les sommes ou effets mis dans le fonds de la société par un ou plusieurs des associés (art. 32 de la Loi des Soc.). C’est ce qu’on appelle la clause léonine ou la clause du lion.

La doctrine est relativement unanime – du moins encore pour l’instant – sur l’interdiction d’exclusion du bénéfice. La raison sous-jacente de cette interdiction est liée à l’essence même de la société : le but lucratif.  Toutefois, la présence obligatoire d’un but lucratif lors de la fondation d’une société est sujette à discussion et on plaide pour sa suppression. Lorsque le but lucratif n’est plus légalement obligatoire, l’interdiction d’exclusion du bénéfice visée à l’article 32 de la Loi sur les Soc. perd son fondement.  Mais nous n’en sommes pas encore là.

Il ne s’ensuit pas de l’interdiction d’exclusion du bénéfice que tous les associés doivent participer proportionnellement au bénéfice

Il ne s’ensuit pas de l’interdiction d’exclusion du bénéfice que tous les associés doivent participer proportionnellement au bénéfice.  Un traitement non proportionnel est autorisé tant que les actionnaires sont traités sur un pied d’égalité.

Au sein d’une société anonyme, l’on peut par exemple travailler avec différentes catégories d’actions, accordant, selon la catégorie, des droits différents aux actionnaires. Il est parfaitement concevable qu’une certaine catégorie d’actions se voit attribuer une plus grande partie du bénéfice qu’une autre catégorie.  Lorsque la division en catégories entraîne toutefois l’exclusion matérielle d’un ou plusieurs actionnaires du bénéfice, l’on a à faire avec une clause léonine interdite.

Dans une SPRL, pareille division est légalement exclue, du moins en ce qui concerne la répartition du bénéfice et le solde de liquidation.

L’exonération interdite des pertes est sujette à plus de controverses dans la doctrine, entre autres à cause du fait que la participation obligatoire aux pertes n’est pas mentionnée comme un élément constitutif dans la définition de la société énoncée dans l’article 1ier du Code des Soc.

Ensuite, cet article souligne principalement l’exonération interdite des pertes, et notamment la question de savoir si les options put (et call) résistent aux critères de la clause léonine interdite.

2. Options put et call

La problématique de la clause léonine interdite se manifeste dans la matière des options put et call :

  • Dans le cas d’une option put, l’associé s’engage à acheter des actions d’un autre associé au moment où ce dernier le décide, à un prix prédéfini (ou à tout le moins prédéfinissable).
  • Dans le cas d’une option call, l’associé s’engage à vendre ses actions à un autre associé au moment où ce dernier le décide, à un prix prédéfini (ou à tout le moins prédéfinissable).
Résistent les options put (et call) aux critères de la clause léonine interdite?

Les options put et call sont diamétralement opposées en cas de faillite. Le titulaire d’une option put l’exercera avec plaisir au prix prédéfini.  Le titulaire d’une option call, quant à lui, n’envisage plus l’exercice de cette option parce que le prix sera trop élevé pour les actions « sans valeur ».  L’associé qui est obligé de payer le prix convenu pour les actions cherche une issue et arrive ainsi à l’article 32 du Code des soc.  Une option call isolée peut elle aussi être considérée, éventuellement, comme une clause léonine. Envisageons par exemple la situation où un certain titulaire d’une option call acquiert le droit de reprendre les actions d’un autre associé (cofondateur) contre la valeur d’apport si le projet pour lequel la société a été fondée est couronné de succès.

3. Les arrêts déterminants de la Cour de Cassation : Torraspapel et Amon-Ra

La question se pose en quelle mesure les conventions par lesquelles un acheteur d’action obtient le droit de revendre ses actions au vendeur initial à un prix prédéfini (lire le prix d’investissement initial), l’option dite ‘option put’ peut résister aux critères de la clause léonine.

Ainsi qu’elle est connue, la jurisprudence inférieure était initialement sévère et la participation sans risque (exclusion des pertes) était simplement interdite.  Il y a toutefois deux arrêts de la Cour de Cassation qui sont révolutionnaires parce que, pour la première fois, ils autorisaient qu’un associé participe sans risques à une société.

Le premier arrêt de la Cour de Cassation est un arrêt du 5 novembre 1998 qui est connu comme l’arrêt Torraspapel.  Cet arrêt est caractérisé par le « critère de l’indépendance causale » par lequel la Cour de Cassation a estimé « qu’est seule interdite la clause qui tend à déranger l’équilibre dans le contrat de société dans le sens de l’article 1855, deuxième alinéa C.C. ou qui, si elle semble avoir un autre objet, vise, en réalité, le même but. »

Dans son arrêt du 29 mai 2008, aussi connu comme l’arrêt ‘Amon-Ra’, la Cour de Cassation a mis en avant une nouvelle théorie, dans laquelle l’intérêt social est devenu primordial : une convention par laquelle une partie prend une participation dans une société en stipulant que les autres associés s’engagent à racheter ces actions à un prix prédéfini après l’expiration d’un certain délai ou lorsqu’une certaine condition est remplie, ne relève pas de l’interdiction de l’article 32 du Code des Soc. « lorsque cette convention ne sert que l’intérêt de la société».

Dans ce sens, une convention par laquelle le fonds de participation pouvait revendre la participation qu’elle avait acquise suite à une augmentation de capital aux actionnaires à un prix prédéfini a été considérée comme étant ‘non léonine’. En effet, celle-ci s’inscrivait dans le cadre du besoin de financement de la société et le fonds de participation n’a jamais adhéré à la société dans le but d’élaborer une vie sociale commune. Mais aussi en dehors de pareilles opérations de financement, certaines conventions portant options put peuvent être justifiées à la lumière des besoins de la société. Ainsi, une stabilisation sur le plan de l’actionnariat peut servir l’intérêt social.

Le concept d’ « intérêt social » est une notion large et flexible dans le droit des sociétés belge

En 2015, la théorie du seul intérêt social gagne du terrain chez les cours et les tribunaux à cause de sa tendance pratique.  Le concept d’ « intérêt social » est une notion large et flexible dans le droit des sociétés belge.  La nécessité de rechercher l’intention réelle des parties est beaucoup moins prononcée que dans le cadre du critère de l’indépendance causale : il importe si l’option put procure un avantage à la société.

Evidemment, le titulaire de l’option aura lui aussi toujours un intérêt propre en acquérant pareille option put ; seulement, celui-ci ne peut pas être disproportionné par rapport à l’intérêt de la société dans cette convention.

La question de savoir si un associé est exonéré de toute contribution aux pertes devra être appréciée dans chaque situation séparée en tenant compte des circonstances matérielles de l’option, telles e.a. la durée de l’option, le prix de l’option, l’objectif, mais aussi de l’interprétation de la notion de ‘perte’.

4. Conclusion : Le jeu de la clause léonine n’est pas entièrement fini

La théorie du seul intérêt social qui est évoquée dans l’arrêt de la Cour de Cassation du 29 mai 2008 ouvre une possibilité pour intégrer la clause léonine dans la pratique sociale actuelle.

La vie de la société est régie par l’intérêt social. L’on pourrait argumenter qu’à l’instar de l’arrêt précité, une exonération complète d’un associé de contribuer aux pertes est autorisée à la condition qu’elle soit justifiée dans le seul intérêt social. L’application de cette théorie ne mène pas nécessairement à la suppression de la clause léonine : les affranchissements de risques qui sont contraires à l’intérêt social (pur et simple) peuvent toujours être annulés.

Elle ne permet pas de procurer aux associés une sécurité (juridique) parfaite sur leur affranchissement des pertes. Il faut se reporter au bon sens pour apprécier si la convention sert oui ou non le seul intérêt social.  La Cour de Cassation a aidé les associés à cet égard par son arrêt du 28 novembre 2013, qui donne à l’intérêt social une interprétation plus étroite en se référant à l’intérêt de profit collectif des actionnaires actuels et futurs.

 


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Leo Peeters

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