L’obligation d’adopter un code vestimentaire neutre ne constitue pas une discrimination

Case

L'interdiction du port du foulard sur le lieu de travail ne constitue pas en soi une discrimination, à condition que l'employeur mène une politique cohérente de neutralité. Ainsi en a décidé le tribunal du travail de Gand.

Le tribunal du travail de Gand a dû se prononcer sur la politique de neutralité d'un employeur interdisant le port de symboles religieux.

Dans ce cas, il s'agissait d'une interdiction de porter un foulard. Après une bataille juridique de plus de 14 ans, le tribunal du travail a finalement décidé qu'une interdiction de porter un foulard (également) sur le lieu de travail ne constitue pas une discrimination indirecte pour autant que l'employeur en question mène une politique cohérente de neutralité.

1. Tout a commencé en 2006

Une travailleuse, occupée depuis trois ans comme réceptionniste dans une entreprise internationale de sécurité, avait informé son employeur qu'elle allait porter désormais un foulard pendant les heures de travail.

Mais l'employeur s’y est opposé étant donné que le port de signes politiques, philosophiques ou religieux visibles était contraire à sa politique de neutralité.

Peu après, le port d’un uniforme était devenu obligatoire pour les réceptionnistes et l’employeur lui a demandé de récupérer son uniforme. L'employée s’est immédiatement mise en congé de maladie.

Malgré plusieurs demandes de l'employeur de reprendre son travail et de respecter le code vestimentaire de son entreprise, l'employée a refusé de suivre cette instruction.

Finalement, l'employeur a décidé de la licencier, car il considérait que tant qu'elle refuserait, elle ne serait pas en mesure de remplir ses obligations contractuelles.


2. Pas de discrimination directe

L'ancienne employée a saisi le tribunal du travail d'Anvers parce qu'elle estimait que l'interdiction d'exprimer ses convictions religieuses sur le lieu de travail, telle qu'imposée par son employeur, constituait une discrimination interdite. Le licenciement en raison de son refus de se conformer à cette interdiction et de sa demande d'être autorisée à porter un foulard sur le lieu de travail constituerait, selon elle, un licenciement discriminatoire. Elle a donc réclamé une indemnité supplémentaire équivalente à 6 mois de rémunération.

Le tribunal du travail a considéré que la demande n'était pas fondée. L'ex-employée a alors introduit un recours auprès de la Cour du travail d'Anvers, qui a également déclaré sa demande non fondée, après quoi elle s'est adressée à la Cour de cassation.

La Cour de cassation a ensuite posé une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne.

La Cour de justice a confirmé qu’il n'y a pas de discrimination directe fondée sur la base de la conviction religieuse lorsqu'une entreprise privée impose l'interdiction de porter un foulard dans le cadre d'une politique de neutralité, qui est appliquée de manière cohérente et systématique.

Toutefois, la Cour de justice a estimé qu'une telle règle interne pouvait constituer une discrimination indirecte s'il était établi que la politique neutre avait pour effet de désavantager particulièrement les personnes ayant une religion ou des convictions particulières. Néanmoins, il n’y a pas de discrimination indirecte si l'obligation est objectivement justifiée par un objectif légitime et si les moyens de réaliser cet objectif sont appropriés et nécessaires. Un objectif légitime pourrait être la recherche de bonnes relations avec les clients et une politique de neutralité politique, philosophique et religieuse.

3. Et pas de discrimination indirecte non plus

La Cour du travail de Gand, à laquelle l'affaire avait été renvoyée par la Cour de cassation, a uniquement été saisie pour une décision finale en ce qui concerne la discrimination indirecte.

L'ancienne travailleuse, assistée par Unia, était d'avis que la politique de neutralité imposée par l'employeur à tous les employés, y compris ceux qui n'ont aucun contact avec les clients, constitue une discrimination interdite. Par conséquent, ces parties ont fait valoir que le licenciement fondé sur le refus de se conformer à la politique de neutralité était discriminatoire.

La Cour du travail a jugé que l'employeur menait effectivement une politique de neutralité. L'ancienne travailleuse et Unia ont défini le groupe défavorisé comme un groupe de personnes dont les convictions religieuses les obligent à respecter certaines règles vestimentaires ou du moins pour lesquelles cela constitue un élément important dans l'expression de leurs convictions religieuses.

Toutefois, la Cour du travail a estimé qu'il ne lui appartient pas de décider de ce qui est ou n'est pas exigé par une quelconque foi ou croyance philosophique. Selon la Cour du travail, l'existence ou l'absence de ces "obligations/éléments importants" est en tant que telle interprétée par les croyants eux-mêmes.

Enfin, la Cour a déclaré qu'en raison de la séparation de l'Église et de l'État, ni les tribunaux belges ni le gouvernement belge ne peuvent ou ne doivent s'ingérer dans les pratiques religieuses tant que celles-ci ne violent pas les droits des tiers. La Cour du travail a ainsi souligné le principe de la séparation de l'Église et de l'État.

La Cour du travail a également fait valoir que si une distinction était faite et qu'une plus grande protection était accordée aux pratiques religieuses considérées comme "obligatoires" par les croyants concernés, cela créerait également une discrimination inadmissible par rapport à toutes les autres pratiques religieuses.

Selon la Cour du travail, la question de savoir si le groupe de personnes qui souhaitent exprimer leurs convictions religieuses ou philosophiques est particulièrement désavantagé lorsqu'il s'engage dans des activités sociales, par exemple sur son lieu de travail, était pertinente. La Cour a jugé qu'il est indifférent dans ce contexte que les personnes concernées considèrent cette expression comme "obligatoire" et que la politique de neutralité ait un effet préjudiciable sur les personnes qui ressentent le besoin d'exprimer leurs convictions politiques, philosophiques ou religieuses.

Il y a discrimination indirecte lorsqu'une distinction indirecte affecte particulièrement les personnes adhérant à une religion ou à des convictions particulières ou, plus précisément, lorsqu'une disposition, un critère ou une pratique apparemment neutre désavantage particulièrement les personnes d'une religion particulière par rapport aux autres.

Dans cette affaire, le tribunal du travail a décidé qu'il n'y avait pas de discrimination indirecte. Il n'existe pas de catégorie protégée, car les personnes de toutes les confessions sont soumises à la même interdiction. Comme indiqué précédemment, la question de savoir si une pratique religieuse est considérée comme obligatoire ou importante ne peut ou ne doit pas être prise en compte. Ce faisant, il est impossible d'affirmer que les personnes qui adhèrent à des religions qui imposent des obligations visibles spécifiques sont particulièrement désavantagées.

À l'instar de la Cour de Justice de l’Union européenne, la Cour du travail a jugé qu'il est dans les limites du pouvoir discrétionnaire de chaque employeur de mener une politique légitime de neutralité. C'est le cas lorsque l'employeur mène une politique de neutralité religieuse et philosophique, par exemple en instaurant une interdiction du port du foulard pour les employés qui ne sont pas en contact avec des "clients" (et les clients de ces clients).

Selon la Cour, une entreprise a le droit et même l'obligation (si elle souhaite garder une position concurrentielle sur le marché) de répondre aux demandes légitimes de ses clients. C'est certainement le cas lorsque ces clients proviennent tant du secteur public que du secteur privé, et lorsque l'entreprise offre des services de sécurité ainsi que des services d'accueil, ses employés devant évidemment pouvoir être déployés de manière flexible. Les deux juridictions admettent qu'une politique de neutralité peut être requise, non seulement en raison de la diversité des clients, mais aussi en raison de la nature particulière des activités du personnel, qui impliquent constamment des contacts personnels avec des personnes extérieures et qui sont déterminants pour l'image de l'employeur, mais aussi pour l'image publique de ses clients.

En outre, la Cour a fermement affirmé qu'il n'appartient pas à l’ancienne travailleuse ni à Unia d'imposer leur philosophie de "pluralisme actif" à l'employeur et donc de déterminer l’image de marque pouvant être considérée comme légitime. La neutralité ou le pluralisme actif est et reste du choix de l'employeur.

Comme la Cour de justice, la Cour du travail a estimé que la politique légitime de neutralité de l'employeur était "appropriée et nécessaire" à la réalisation de ses objectifs. En effet, l'interdiction de porter un foulard contribue à la mise en œuvre de la politique de neutralité religieuse et philosophique que l'employeur s'est imposée.

Le verdict a été qu'il n'y avait pas de discrimination indirecte et le recours a été déclaré non fondé.

4. Que devons-nous retenir de cette affaire ?

Tout employeur a le droit de choisir de mener une politique de neutralité forte, en interdisant par exemple le port de badges politiques, philosophiques ou religieux visibles sur le lieu de travail.

Mais une telle politique de neutralité doit être cohérente et systématique. Elle doit s'appliquer à tous les employés, mais peut aussi être limitée au personnel qui est en contact direct avec les clients.

Dans ce cas, il est fortement recommandé qu'une politique de neutralité soit encadrée par une déclaration d'intention appropriée.

Grâce à une politique de neutralité menée de manière cohérente et systématique et à une définition appropriée de l'objectif, il n'existe aucune discrimination à l'encontre des personnes souhaitant exprimer leurs convictions religieuses ou philosophiques au travail.

De cet arrêt, on peut conclure que la politique de neutralité d'un employeur n'est pas discriminatoire pour autant qu'elle soit conforme à l'objectif qu'elle vise à atteindre. C'est donc l’un ou l'autre. En bref, s'il n'est pas possible d'adhérer à une politique de neutralité stricte, il vaut mieux ne pas en avoir une.

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Leila Mstoian

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