- Lynn Pype - Jan Vanbeckevoort
- caméra , preuve , dashcam , drone , smartphone , vidéosurveillance
Non seulement dans l'espace publique, mais aussi sur le lieu de travail les caméras sont
fréquemment utilisées. D'autre part, c'est devenu une quasi-certitude que la plupart des
évènements est enregistrée avec des dashcams, drones et des smartphones.
Que ce soit une évolution positive ou non entraine une divergence d'opinions.
Entre-temps il apparaît que les images caméra peuvent être utilisées comme moyen de preuve dans des
procédures juridiques.
Si les images ont été collectées de façon légitime, c'est-à-dire en accordance avec les
dispositions légales, il n'y a pas de problème. Si par contre les images ont été collectées
illégalement, la question peut se poser dans quelle mesure ces images sont admissibles comme moyen
de preuve.
La réponse à cette question n'est pas uniforme.
Filmer des personnes est considéré comme traitement des données à caractère personnel.
Cela implique que l'utilisateur de la caméra doit tenir compte des dispositions de la loi du 8
décembre 1992 relative à la protection de la vie privée à l'égard des traitements de données à
caractère personnel (ci-après la "loi de la vie privée") et, à partir du 25 mai 2018, du
Règlement général sur la protection des données (RGPD).
En outre, il existe de règlementations spécifiques pour, entre autres, l'usage des caméras sur
le lieu de travail ou l'usage de vidéosurveillance.
Puisque la loi de la vie privée ne portait pas sur le problème spécifique de la surveillance par
caméra, de règlementations spéciales ont été créées qui règlent l'usage des caméras.
Les deux réglementations les plus connues sont la CCT n° 68 du 18 juin 1998 relative à la
protection de la vie privée des travailleurs à l'égard de la surveillance par caméras sur le
lieu de travail (ci-après "CCT nr. 68") et la loi du 21 mars 2007 réglant
l'installation et l'utilisation de caméras de surveillance (ci-après "la loi
caméra").
Si un employeur souhaite installer des caméras sur le lieu de travail, il doit suivre une
procédure fixe. Il lui incombe en effet une obligation d'information, lui imposant de
communiquer l'objectif envisagé, ainsi le fait que les images sont enregistrés ou non, le
nombre de caméras et la période pendant laquelle les caméras sont opérationnelles.
Lors de l'usage des caméras dans un contexte du droit de travail, une distinction est faite
entre l'usage permanent et temporaire, dépendant des fins pour lesquels elles sont utilisées.
La surveillance par caméra peut être permanente ou temporaire si elle porte sur la garantie de la
sécurité et la santé ou si elle porte sur la protection des biens de la société ou sur le contrôle
du processus de fabrication, se rapportant seulement aux machines.
La surveillance par caméra ne peut toutefois être que temporaire si elle cible le contrôle du
processus de fabrication qui se rapporte aux employés, ou si elle cible le contrôle du travail des
employés.
La CCT n° 68 stipule également que la surveillance par caméra doit être proportionnelle au but pour
lequel elle est installée. La surveillance par caméra sera considérée disproportionnelle si de
moyens moins évasives sont disponibles pour atteindre l'objectif. De plus, il ne peut pas y
avoir une ingérence dans la vie privée de l'employé. En présence d'une certaine ingérence,
celle-ci doit être réduite à un minimum.
La loi caméra de 2007 s'applique aux caméras de surveillance qui visent à prévenir ou
détecter des délits et la nuisance ou à maintenir l'ordre public. La loi fait une distinction
entre (i) les lieux ouverts, comme la voie publique, les marchés, les parcs, (ii) les lieux fermés
accessibles au public, comme les musées, les magasins et (iii) les lieux fermés non accessibles au
public.
La loi caméra interdit tout usage secret des caméras. Lors de l'installation de la caméra, le
pictogramme spécifique doit être placé signalant aux gens l'usage des caméras. La loi caméra
stipule également que seulement le responsable du traitement ait accès aux images de caméras, et
que chaque personne filmée ait un droit d'accès aux images.
Le critère de proportionnalité est également présent
Le critère de proportionnalité est également présent lors de l'usage de caméras sous
l'application de la loi caméra. Cela implique que l'usage d'une caméra doit être
nécessaire et adéquate pour atteindre l'objectif envisagé. Il en va de même eu égard la façon
d'utiliser les caméras. Une caméra sur la route publique ne peut, par exemple, pas être dirigée
aux fenêtres de bâtiments privés.
L'usage des caméras sous l'application de la loi caméra doit être communiqué à la
commission de la vie privée, ainsi qu'au commissaire de la zone de police dans laquelle les
caméras sont installées.
L'utilisation des dashcams, drones ou autres caméras mobiles qui tombent en dehors du champ
d'application de la CCT n° 68 de la loi caméra, n'est actuellement pas encore fixée dans
une loi spécifique.
La loi générale sur la vie privée est donc applicable.
Seulement si les images sont utilisées dans la vie domestique ou à des fins personnels, il ne faut
pas tenir compte de la loi de la vie privée.
Dans les autres cas, les dispositions de la loi de la vie privée doivent être respectées. A cet égard, il convient de noter qu'une fois que les enregistrements sont partagés, par exemple dans un environnement en ligne, le droit à l'image des personnes qui apparaissent dans le vidéo en question, peut entrer en jeu. Plus d'information sur le droit à l'image peut être consultée en cliquant ici.
Cette année, le juge de police de Bruxelles s'est prononcé sur la valeur probante des images
dashcams. Dans le jugement le juge de police a estimé qu'une dashcam dans un véhicule est
autorisée. Le tribunal de police estime que dans le cas où la dashcam est utilisée afin de
collecter des éléments de preuve dans le cadre d'une collision, et qu'aucune donnée à
caractère personnel (telles que nom ou adresse) ordinaire n'est receuillie, mais plutôt des
données à caractère personnel judiciaire. Dans le même contexte, la loi de la vie privée impose une
interdiction de principe portant sur la collecte et le traitement de données judiciaires. Une
exception est toutefois prévue dans la loi si le traitement est nécessaire pour la gestion de
propres litiges, ce qui était d'ailleurs d'application dans le présent litige.
Le juge de police confirme que si cette exception est appliquée, les autres dispositions de la loi
de la vie privée doivent également être respectées. Cela signifie, entre autres, que le critère de
proportionnalité et l'obligation d'information doivent être respectés. L'utilisateur de
la dashcam, qui est considéré responsable du traitement, doit informer l'autre partie de
l'existence des images, et les lui communiquer au plus vite possible.
Si les images caméras ne sont pas immédiatement communiquées à l'autre partie, une présomption
peut naître que les images sont manipulées, et ne sont donc plus véridiques.
Il arrive bien évidemment que les règles juridiques se rapportant à l'usage des caméras ne
sont pas respectés, et que les images caméras ont été filmées illégalement. Quel sera le destin des
images caméras? La question se pose fréquemment si les images caméras peuvent être utilisées ou
non. Celui qui commet une infraction quant au traitement illégale, se voit appliquer des sanctions
administratives, mais ceci n'a rien à voir avec la valeur probante éventuelle des images
caméras obtenues illégalement.
En 2003, la Cour de Cassation a introduit les principes Antigone dans les matières pénales. Sur
base de la jurisprudence Antigone, la preuve obtenue illégalement doit être rejetée de la procédure
si (i) le respect de certaines conditions de forme est lié à une sanction de nullité, (ii)
l'illégalité a affecté la fiabilité de la preuve ou (iii) la preuve illégale constitue une
violation des lois de la défense.
En premier lieu, il a été considéré que la jurisprudence Antigone ne pouvait uniquement être
appliquée en matière pénale, et que ces principes ne pouvaient pas être transférées aux procédures
civiles.
En 2008, la Cour de Cassation a mis fin à cette discussion dans le cadre d'un litige en matière
du droit de travail. La Cour soutenait littéralement que sauf si la loi stipule autrement, il
incombe au juge d'apprécier l'admissibilité de la preuve illégalement obtenue. Le tribunal
doit tenir compte de tous les éléments de l'affaire, aussi de la manière dont la preuve a été
obtenue et les circonstances dans lesquelles l'illégalité a été commise. De ce fait, les
principes Antigone en matières civiles sont un fait accompli.
Si les conditions Antigone sont examinées lors de l'usage des images de caméras, il convient de
déterminer que ni la loi de la vie privée, ni la CCT n° 68, ni la loi caméra prescrivent la nullité
d'images de caméra traitées en violation de la loi. Des images de caméra ne peuvent uniquement
être rejetées s'il peut y avoir un doute quant à la fiabilité des images ou si
l'illégalité empêche le procès équitable. En effet, les images de caméra peuvent être une
représentation instantanée sans que le contexte complet ne soit visualisé.
L'admissibilité d'images de caméra illégalement obtenues sera cependant décidée dans chaque
litige au cas par cas. Il existe une différence entre des images obtenues d'une caméra qui
n'est pas communiquée auprès de la commission de la vie privée et des images d'une caméra
cachée. Il incombe donc au tribunal la tâche difficile de ne pas seulement se fonder sur ce qui
joue sur les images de caméra, mais d'aussi de tenir compte de tous les éléments du dossier en
des droits des parties concernées.