- Droit de l'Art
- Andrine Like - Leo Peeters
- art , collectionneur , galerie , musée , financement , loi sur le gage , oeuvres d'art , investissement
Depuis l’entrée en vigueur de la nouvelle Loi sur le gage, des objets d’art peuvent dorénavant être donnés en gage en vue d’un financement, et ce sans dépossession. Ceci est particulièrement intéressant pour les investisseurs et collectionneurs d’art désirant accéder à des liquidités en vue de faire des nouveaux investissements, ou simplement en vue de l’acquisition de nouvelles œuvres.
L’art est un produit de placement hautement popularisé depuis de nombreuses années.
Si l’investissement peut s’avérer particulièrement rentable, l’accès aux liquidités se trouve, cependant, souvent freiné par des délais de transactions contraignants auxquels s’ajoutent des coûts considérables.
En vue de faciliter l’accès aux liquidités à court terme des détenteurs d’objets d’art, de nombreuses institutions offrent désormais un service de prêt sur œuvres.
Ce mécanisme, plus ou moins calqué sur le traditionnel prêt sur gage, consiste en l’octroi d’un prêt – avec des taux d’intérêts avantageux – sur la base du prix de l’objet mis en gage pour une période prédéterminée, période à l’issue de laquelle l’emprunteur remet les sommes empruntées au prêteur.
Ce type de prêt spécialisé offre la possibilité aux acteurs du marché de l’art de monétiser leurs collections en vue, notamment, de lever des fonds pour de nouveaux investissements, de refinancer d’autres prêts ou encore d’acquérir de nouvelles œuvres.
Suite à l'introduction de la nouvelle loi sur gage, le prêt sur œuvres pourrait bien gagner en popularité en Belgique
Parmi les célèbres bénéficiaires de ce modèle, figurent les artistes Christo et Jeanne-Claude, lesquels, en vue de financer leurs projets d’envergure, ont eu recours au prêt sur œuvre avec pour assiette la vaste collection de Christo. Mais ce modèle convient aussi bien aux investisseurs dans les œuvres d'art qu'à tout passionné d'art / collectionneur désireux d'agrandir sa collection.
Suite à la récente réforme du droit des sûretés belge, le prêt sur œuvres pourrait bien gagner en popularité en Belgique.
En effet, à l'instar des pays voisins, également en Belgique, le droit belge consacre un gage sans dépossession sur choses mobilières lequel est opposable aux tiers par enregistrement dans le Registre National des Gages.
Cette réforme avait, entre autres, pour objectif le développement d’un système de crédit plus efficace et l’émergence de nouvelles formes de financement. Dans ce contexte, la loi nouvelle pourrait contribuer à stimuler le marché belge des services d’art financing et accroitre la compétitivité de la Belgique sur le marché financier international de l’art dont les acteurs sont outre les collectionneurs d'art passionnés, également des finances/investisseurs.
Nous abordons dans les lignes qui suivent les dispositions nouvelles relatives à l’institution du gage.
Par la loi sur le gage du 11 juillet 2013, le législateur belge consacre entre autres la possibilité de constituer un gage sans dépossession sur choses mobilières, tout en maintenant le gage avec dépossession.
En droit belge, le gage était traditionnellement défini comme un contrat réel formé par la remise de la chose entre les mains du créancier (ou du tiers convenu). La mise en possession du créancier était une condition d’existence du contrat. En d’autres termes, tant que la remise de la chose entre les mains du créancier n’était pas réalisée, le contrat n’était pas formé et le gage n’existait pas même entre les parties.
La dépossession ne constitue, en vertu de la loi nouvelle, plus qu’une forme alternative d’opposabilité de la sûreté aux tiers, et non plus d’existence, de sorte que le gage devient, en règle, un contrat consensuel.
A cet égard, il est intéressant d’observer que le législateur ait conçu sous l’ancien régime, en dehors du gage classique, un gage sans dépossession avant la lettre, portant sur le fonds de commerce lequel demeurait à la disposition du débiteur lui permettant ainsi de poursuivre normalement son exploitation. Ce mécanisme répondait assurément aux besoins des commerçants, auxquels peuvent être assimilés les musées et les galeries, par exemple, qui bien souvent ne possèdent d’autres actifs à affecter à la garantie d’un prêt ou d’une ouverture de crédit que l’affaire qu’ils exploitent. Dans son ancienne mouture, le gage sur fonds de commerce avait néanmoins pour particularité qu’il ne pouvait être constitué qu’en faveur d’un établissement de crédit ou de certains établissements financiers agréés. Le gage consenti au profit d’une autre personne qu’un créancier était nul.
Dorénavant, peuvent se faire consentir un gage tout titulaire d’une créance de somme sans restriction quant à sa qualité, ce qui ouvre la voie aux nouveaux fournisseurs de prêt tels que les banques privées, mais également les prêteurs privés et les maisons de ventes aux enchères.
Les parties choisissent-elles de garantir leur engagement par un gage avec dépossession, c’est-à-dire par la mise en possession matérielle du créancier (ou du tiers convenu), le propriétaire de la chose conservera sa qualité de propriétaire jusqu'à, le cas échéant, la réalisation de celle-ci.
La chose entre les mains du créancier ne constitue qu’un dépôt. Dès lors, le créancier gagiste ne peut en faire usage, sauf si et dans la mesure où cela est nécessaire à sa conservation. Le créancier s’oblige ainsi à prendre soin des biens mis en gage de sorte qu’il sera tenu responsable de leur perte ou de leur endommagement du fait de sa négligence.
Par ailleurs, le constituant gardera à l’esprit qu’en dehors de manquements graves du créancier gagiste (ou du tiers convenu) le constituant n’est pas fondé à réclamer la restitution de la chose gagée tant qu’il ne s’est pas acquitté de sa dette pour sûreté de laquelle le gage a été donné.
Particulièrement en ce qui concerne les objets d’art, les frais de transport, d’assurances, d’entretien et de maintenance – lesquels lorsqu’exposés par le créancier doivent lui être remboursés – sont autant de raisons de négocier un gage sans dépossession.
La loi prévoit que le constituant doit veiller aux biens grevés en bon constituant et que le créancier gagiste a le droit d'inspecter les biens grevés à tout moment. Le constituant a le droit de faire un usage raisonnable des biens donnés en gage, conformément à leur destination.
La loi prévoit en outre que, sauf convention contraire, le constituant du gage conserve son droit de disposition s’il s’exerce dans le cours normal de ses affaires.
Il en est particulièrement ainsi lorsque le gage porte sur un fonds de commerce. Le constituant ne peut donc amoindrir délibérément la valeur du fonds, par exemple en procédant à des ventes à vil prix. Le constituant ne doit cependant pas garantir le maintien de la valeur globale du fonds. Cette valeur dépend des aléas de la vie économique et peut donc fluctuer sans que soit engagée sa responsabilité. Le même raisonnement peut s'appliquer aux œuvres d'art dont la valeur fluctue en fonction des mouvements, des modes et des caprices du marché de l'art.
En principe, tout bien mobilier, même futur, peut faire l'objet d'un droit de gage opposable par enregistrement ou dépossession, à la condition que le bien soit cessible.
Outre le fonds de commerce, un gage peut désormais être consenti sur un ensemble de biens corporels ou incorporels mobiliers, ce qui constitue une nouveauté particulièrement intéressante pour les collectionneurs non-commerçants ou toute autre personne ne pouvant se prévaloir de la notion de de fonds de commerce.
Le droit belge ne définit et n’organise pas le fonds de commerce en tant que tel. Selon l’opinion dominante, le fonds de commerce peut se définir comme un ensemble de biens corporels et incorporels unis par une destination commune : le maintien de la clientèle, dans l’optique d’une exploitation utile d’un commerce déterminé. S’il on concède aisément qu’une galerie ou un musée, dans une moindre mesure, puisse faire l’objet d’un gage sur fonds de commerce, tel n’est pas le cas d’une collection d’objets d’art.
La nouvelle Loi sur le gage permet désormais au collectionneur de mettre en gage sa collection d’objets de valeur, que celle-ci constitue une universalité légale ou de fait. Cet ensemble doit être déterminé mais non individualisé.
Cela a entre autres pour avantage qu'il pourrait être fait référence à des installations, propres à l’art contemporain, par exemple.
Un ensemble de biens peut faire l'objet d'un gage de registre. Les biens faisant partie d'un ensemble devront toutefois être individualisés si l'on souhaite recourir au gage avec dépossession.
Se pose la question de savoir si un ensemble de biens peut comprendre des biens immeubles. Certaines installations artistiques pourraient bien être considérées comme immobilière par incorporation. Aux termes de la Loi sur le gage, un droit de gage peut d’ores et déjà être consenti sur un bien meuble par nature devenu immeuble par destination ; il est également prévu que l’immobilisation des biens grevés n’affecte pas le droit de gage du créancier.
Enfin, les biens futurs - corporels et incorporels - peuvent également être mis en gage. Sont visées non seulement toutes choses devant être créées, mais également celles qui appartiennent à un tiers au moment de la conclusion de la convention de gage.
La loi règle également le sort des biens destinés à être transformés. De ce fait également les oeuvres d'art exécutées sur commande peuvent être l'objet d'un gage pour un financement.
Le législateur accorde une attention particulière au constituant qui peut être qualifié de consommateur.
A titre d’exemple, la Loi sur le gage stipule que si le constituant est un consommateur, la validité de la convention de gage requerra un écrit contenant la désignation précise des biens grevés du gage, de la valeur de ces biens, des créances garanties et du montant maximum à concurrence duquel les créances sont garanties.
En outre, il est précisé que si le constituant du gage est un consommateur, la valeur des biens gagés ne peut excéder deux fois le montant garanti.
D’autres dispositions visent à consacrer une protection spéciale du consommateur, cependant la Loi sur le gage, ne définit pas la notion de consommateur. Elle se réfère au Code de droit économique belge qui définit le consommateur comme toute personne physique agissant à des fins qui n'entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale.
Concrètement, il doit être vérifié à quelles fins une personne physique agit. Est-ce principalement à des fins privées, alors cette personne peut être considérée comme un consommateur. Si cela est principalement à des fins professionnelles, elle ne peut pas être qualifiée en tant que consommateur.
Il convient, en outre, de vérifier si les biens acquis et donnés en gage sont destinés à des fins privées ou professionnelles. Lorsque la chose est principalement destinée à l'exercice de l'activité professionnelle, le constituant n'a pas le statut de consommateur et vice et versa.
Enfin, il convient d’observer que les dispositions protégeant le constituant-consommateur
doivent également être respectées et ne se limitent pas aux accords conclus avec des entreprises ou
entités agissant dans le cadre de leur activité professionnelle. En d’autres termes, plus
concrètement, les règles qui protègent le constituant-consommateur doivent également être
respectées lorsque la mise en gage est consentie au profit d’un créancier qui n'agit pas dans
le cadre de son activité professionnelle.
Le droit de gage est assorti d'un droit de suite, ce qui signifie que le droit de gage suit les biens grevés, en quelques mains qu’ils passent. En cas de cession, le tiers acquéreur est assimilé au constituant originaire du gage.
Ce principe souffre exceptions dans plusieurs hypothèses décrites par la loi.
Les œuvres d’art en tant qu’objets de valeur sont exposés à des risques de toute nature
Les œuvres d’art en tant qu’objets de valeur sont exposés à des risques de toute nature.
La Loi sur le gage prévoit un mécanisme de subrogation réelle. Il en résulte que le gage s'étend à toutes les créances qui se substituent aux biens grevés, parmi lesquels les créances résultant de la cession de ceux-ci ainsi que celles indemnisant une perte, détérioration ou diminution de valeur du bien grevé.
Lorsqu'une œuvre d'art est volée ou détruite dans un incendie, le montant de l'indemnité dû par l'assureur prendra la place de l'œuvre d'art en tant que gage.
Une innovation importante de la Loi sur le gage est l’introduction du registre des gages entré en vigueur le 1er janvier 2018. Désormais, chaque créancier gagiste sera tenu de sécuriser, de manière autonome, son gage par simple enregistrement afin qu'il soit opposable aux tiers.
Comme exposé ci-dessus, le registre a pour objectif l’opposabilité aux tiers du gage sans dépossession. Il s'agit plus précisément d'un registre public informatisé organisé au niveau national destiné à l'enregistrement et à la consultation des gages contre redevance, dont l’utilisation est réglementée par un arrêté royal du 14 septembre 2017.
Le registre des gages est accessible à tous. L’enregistrement des données est toutefois réservé au seul créancier gagiste, son représentant ou un mandataire de celui-ci ou du représentant.
En outre, le constituant du gage peut, au vu de l’historique des consultations, vérifier qui sont les personnes qui ont consulté leurs données pendant les six derniers mois.
L'accès au registre n'étant possible qu'au moyen d'une carte d'identité et de son code, les créanciers gagistes étrangers ou les bénéficiaires d'une clause de propriété devront faire appel à un mandataire belge pour ce faire.
Il est précisé que le rang du gage est déterminé par l'ordre chronologique de son enregistrement. En cas de concours entre créanciers titulaires d’un gage de registre et un gage par dépossession, la Loi sur le gage stipule que leur ordre de rang est déterminé selon la date de l’enregistrement ou de la prise de possession. Si la date de l’enregistrement est aisée à établir, il n’en est pas nécessairement de même de la date de prise de possession, ce qui doit inciter le créancier à se ménager cette preuve.
L’enregistrement s'éteint après 10 ans, mais est renouvelable pour des périodes successives de 10 ans.
Lorsque la créance est devenue exigible, mais n’est pas honorée, le créancier gagiste peut réclamer paiement au débiteur de la créance mise en gage.
La mise en œuvre de ce droit de recouvrement diffère selon la qualité du constituant du gage.
Si le constituant du gage est un consommateur le créancier gagiste ne peut, à défaut de paiement, disposer du gage ; sauf à lui à faire ordonner en justice que ce gage lui demeurera en paiement et jusqu'à due concurrence, d'après une estimation faite par experts, ou qu'il sera vendu aux enchères ou de gré à gré. Le créancier gagiste n'a pas le droit de se porter acheteur en cas de vente de gré à gré. Toute clause qui autoriserait le créancier gagiste à s'approprier le gage ou à en disposer sans les formalités ci-dessus, est nulle.
Si le constituant du gage n'est pas un consommateur le créancier gagiste peut, à défaut de paiement, exercer son gage en vendant ou louant tout ou partie des biens grevés du gage afin d'apurer la créance garantie. Après défaillance du débiteur, le créancier gagiste a droit à la possession du bien grevé du gage. Si le constituant du gage ou toute personne en possession du bien grevé s'y opposent, le créancier gagiste doit saisir le juge. La réalisation doit être effectuée de bonne foi et d'une manière économiquement justifiée. Le créancier gagiste ne peut restreindre ni exclure sa responsabilité à cet égard. La charge de la preuve d'un manquement du créancier gagiste repose sur le constituant du gage.
La loi indique que les parties peuvent convenir du mode de réalisation au moment de la conclusion de la convention de gage ou ultérieurement. La réalisation d’objets d’art nécessite des connaissances particulières. C’est pourquoi les parties pourraient convenir de désigner un expert de leur choix afin d’estimer l’œuvre avant réalisation ou encore de désigner maison d’enchères qui procèdera à la vente des biens grevés.
Jusqu’à l’entrée en vigueur de la nouvelle loi sur les sûretés réelles mobilières, le contrat de gage sur choses mobilières ne se formait que par la seule mise en possession du créancier gagiste du bien gagé, ce qui avait pour désavantage de limiter les possibilités et formes de garantie auxquelles pouvaient faire appel les propriétaires d’objets d’art.
Le droit belge leur offre désormais la possibilité de garantir leur créance tout en maintenant la possession de leurs objets – des plus fragiles aux plus encombrants – que le maintien soit motivé par des raisons esthétiques ou économiques.
En même temps, ce nouveau système profitera également aux créanciers de collectionneurs d’art cherchant à se prémunir contre l’insolvabilité de leurs débiteurs pourront dorénavant inscrire toute ou partie d’une collection dans le registre des gages pour se voir constituer une sûreté réelle sur ces biens sans recourir à des montages de mise en possession artificiels.