- Jan Vanbeckevoort - Griet Verfaillie
- transfer des données à caractère personnel venant de l'UE , Directive européenne concernant la vie privée , Safe Harbor Framework
Le lundi 6 Octobre 2015, la Cour de Justice de l’UE à Luxembourg (ci-après «la Cour de
Justice»), a jugé sous forme de réponse à une question préjudicielle (dans son arrêt C-362/14
Protection Maximillian Schrems / Data protection Commissioner) que la décision de la Commission
européenne, dans laquelle celle-ci avait constaté que les Etats-Unis assuraient un niveau adéquat
de protection des données à caractère personnel transférées, était nulle.
Cette décision est importante car de nombreuses entreprises opérant dans l'UE ont besoin d’un
transfert de données aux Etats-Unis et sont donc ciblées directement.
Conformément à l'article 25 de la Directive européenne concernant la vie privée 95/46/CE (la
Directive sur la protection des données), les données à caractère personnel ne peuvent être
transférées de l'UE vers un pays tiers, que si ce pays assure un «niveau adéquat de
protection».
La Commission a prévu par une décision du 26 juillet 2000 (2000/520/CE), conformément à
l'article 25, paragraphe 6 de la Directive européenne sur la vie privée, un niveau adéquat de
protection par le biais d’un mécanisme, à savoir des principes de la sphère de sécurité (Safe
Harbor Principles) et les lignes directrices y afférentes (questions fréquemment posées) publiées
par le Ministère du Commerce (Federal Trade Commission) des États-Unis.
Ce mécanisme donne un consentement particulier aux entreprises pour le transfert des données à
caractère personnel de l'UE vers des entreprises aux Etats-Unis qui sont membres du programme,
à condition qu'elles s’engagent, au travers d’une auto-certification et d’une auto-évaluation
sans équivoque et de façon publique, de respecter les principes de la sphère de
sécurité conformément aux lignes directrices.
Entre autres des sociétés comme Facebook ou Google qui stockent des données à caractère personnel
sur des serveurs aux États-Unis ou d'autres sociétés qui stockent des données à caractère
personnel dans le Cloud sur des serveurs situés aux Etats-Unis, ont approuvé les principes de la
sphère de sécurité et possédaient dès lors des certificats nécessaires garantissant la protection
des données à caractère personnel venant de l’UE aux États-Unis.
L'étudiant doctorant autrichien, M. Maximillian Schrems, utilisait Facebook depuis 2008. Les
données fournies par M. Schrems sur Facebook ont été, comme de nombreux autres abonnés qui résident
dans l'UE, transférées entièrement ou partiellement par la filiale irlandaise Facebook Inc.
Ireland à la maison mère Facebook USA, dont les serveurs sont situés sur le territoire des
États-Unis, où elles sont traitées.
Dans la foulée des révélations du dénonciateur Edward Snowden en 2013, notamment sur la pratique
aux États-Unis de surveillance en masse des données transmises à ce pays par les services
d’espionnage, M. Schrems a déposé une plainte auprès du régulateur irlandais en raison d'un
manque de «protection adéquate» des données à caractère personnel aux États-Unis.
Toutefois, l'autorité irlandaise a refusé de faire une enquête sur la plainte, en se fondant
sur la décision de la Commission (2000/520/CE) selon laquelle les États-Unis assurent, dans le
cadre dudit règlement de la sphère de sécurité (Safe-Harbor Framework), un niveau adéquat de
protection des données transférées.
M. Schrems a ensuite introduit un pourvoi devant la Cour Suprême irlandaise (High Court), qui a
alors posé deux questions à la Cour de Justice. La Cour a dès lors dû examiner si la décision
2000/520/CE dans le cadre des articles 7 et 8 de la Charte des droits fondamentaux peut empêcher
les autorités nationales de contrôle de l'UE
(i) d'enquêter sur une plainte pour déterminer si un pays tiers offre un niveau adéquat de
protection; et
(ii) de suspendre le transfert des données à caractère personnel si elles considèrent que le niveau
de protection ne suffit pas.
La Cour a décidé de déclarer la sphère de sécurité (Safe Harbor Framework) invalide.
Le raisonnement de la Cour est expliqué ci-dessous de manière simplifiée.
La Cour a décidé de déclarer la sphère de sécurité (Safe Harbor Framework) invalide
La Cour analyse tout d’abord l'article 25, paragraphe 6 de la Directive sur la protection
des données au regard de la Charte des droits fondamentaux de l'UE, en particulier du droit
fondamental à la vie privée et du droit à la protection des données à caractère personnel (articles
7 et 8 de la Charte des droits fondamentaux de l'UE) et du droit à un accès efficace et
impartial à la justice (article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'UE).
Elle conclut que l'existence d'une Décision de la Commission n’est pas un obstacle pour les
pouvoirs gouvernementaux nationaux de faire des enquêtes en toute indépendance pour déterminer si
le transfert des données d'une personne vers un pays tiers est en conformité avec les exigences
de la Directive sur la vie privée.
Ensuite, la Cour se réfère aux conclusions de l'avocat général Bot, présentées le 23 septembre
2015, dans lesquelles il affirme que l'article 25, paragraphe 6 de la directive sur la
protection des données à caractère personnel prévoit de maintenir le haut niveau de protection lors
du transfert de données à caractère personnel vers un pays tiers.
Il est évident qu’on ne peut pas attendre d’un pays tiers qu’il garantisse la même protection
offerte au sein de l'UE, mais le pays tiers doit au moins appliquer de manière générale
une «protection adéquate» similaire.
Ensuite, la Cour arrive à la conclusion que les principes de la sphère de sécurité (Safe Harbor
Principles») s’appliquent uniquement aux entreprises qui y ont consenti, sans qu’il ne soit exigé
que les autorités publiques des États-Unis soient tenues de respecter les principes en question.
En outre, les exigences de sécurité nationale, d’intérêt public et de maintien de l’ordre aux
États-Unis ont priorité sur les règles de la sphère de sécurité (Safe Harbor Principles). La
conséquence est que les entreprises américaines sont tenues, en cas de conflit avec ces exigences,
de déroger sans limitation aux règles de protection.
La Cour se réfère dans son analyse à l’évaluation critique de la Commission qui a constaté en 2013
que les autorités américaines étaient en mesure d’avoir accès aux données à caractère personnel
transférées par les États membres et de les traiter d'une manière incompatible avec les
objectifs pour lesquels elles avaient été transmises et qu’ils sont allés plus loin que ce qui
était strictement nécessaire et proportionné pour la protection de la sécurité nationale.
La Cour condamne également le fait que les personnes concernées n’aient aucun recours administratif
ou judiciaire afin d’obtenir l'accès aux données et encore moins de les corriger ou de les
supprimer.
La Cour souligne que l'article 25, paragraphe 6 de la Directive sur la vie privée exige une
décision motivée de la Commission, selon laquelle le pays tiers en question offre effectivement des
garanties pour la protection des droits fondamentaux.
La Cour constate que, n’est pas limité au strict nécessaire, une règlementation, qui autorise d’une
manière généralisée la conservation de l’intégralité des données à caractère personnel de toutes
les personnes dont les données ont été transférées depuis l'UE vers les États-Unis, sans
qu’aucune différenciation, limitation ou exception ne soit opérée en fonction de l’objectif
poursuivi et sans qu’il ne soit prévu de fournir un critère objectif permettant de délimiter
l'accès des autorités publiques aux données et leur utilisation ultérieure.
La Cour ajoute qu’une règlementation permettant aux autorités publiques d’accéder de manière
généralisée au contenu de communications électroniques doit être considérée comme portant atteinte
au contenu essentiel du droit fondamental du respect de la vie privée.
Etant donné qu’il s’agissait d’une question préjudicielle devant la Cour de Justice et que
l’affaire est maintenant renvoyée à la juridiction nationale, il sera intéressant de suivre la
procédure pendante devant la High Court irlandaise.
Entre-temps et jusqu'à une nouvelle décision, aucune entreprise ne peut plus baser le transfert
des données à caractère personnel UE vers les États-Unis sur la décision de la Commission
concernant la sphère de sécurité (Safe Harbor Framework).
Toutefois, l'article 26 de la Directive sur la vie privée prévoit encore d'autres dérogations dans le cadre du transfert de données à caractère personnel vers des pays tiers (y compris les Etats-Unis) - même si ce pays ne fournit pas une protection adéquate – à condition que les responsables du traitement des données personnelles répondent entre autres aux conditions suivantes:
Mais dans la pratique, il se révèle que ces dérogations ne sont pas toujours aussi faciles à
appliquer.
Les clauses contractuelles modèles n’empêchent pas une instance nationale de contrôle d’enquêter
sur les plaintes individuelles et donc de les contrôler au regard des droits fondamentaux. Des
règlements d'entreprise contraignants pourraient apporter une solution, mais exigent souvent un
temps considérable et sont seulement intéressants pour un groupe sélect d'entreprises
(internationales).
Dans un communiqué de presse du 16 octobre 2015 du Groupe de Travail de l’article 29, ces
dispositions contractuelles types ainsi que des règles d’entreprise contraignantes ont encore été
acceptées sous les réserves faites ci-dessus.
Le groupement appelle quand même les décideurs politiques à prévoir une «solution adéquate» pour
fin janvier 2016. La Commission de la vie privée belge se réfère dans un communiqué de presse du 16
Octobre 2015 à la position du Groupe de Travail de l’article 29 et organisera en premier lieu un
forum le 27 Novembre 2015 avec les parties prenantes afin d’obtenir de bonnes solutions réalisables
à court terme.
Le Groupe de Travail de l’article 29 est un groupement influent de toutes les autorités nationales
assurant la protection des données dans l'UE.
Nous rappelons que Groupe de travail de l'article 29 a déjà donné en 1998 une explication de ce
que le terme «protection adéquate» peut signifier, tant au niveau du contenu (l'utilisation
restreinte de l’information aux objectifs, la proportionnalité, la transparence, le respect du
droit d'accès à l'information) qu’au niveau procédural (soutien suffisant et aide à
l'individu objet de données).
Les principes existent déjà, donc en théorie cela peut aller vite, mais cela dépendra
principalement des négociations entre l’UE (et ses états membres) et les Etats-Unis pour trouver
une solution politique, juridique et technique.