- Droit Commercial et Economique
- Lynn Pype - Griet Verfaillie
- garagiste , concédant , réseau , distributeur , refus de vente , libre concurrence , distribution sélective , abus de droit , position dominante
Dans ce contexte, il n’est pas impensable qu’un concédant refuse d’admettre un garagiste
individuel dans son réseau ou qu’un distributeur de voitures ou de pièces détachées ne désire pas
entrer en affaires avec un certain preneur. Les motivations de ce refus de vente peuvent s’appuyer
sur différentes raisons. La question se pose donc de savoir si et dans quelle mesure le refus de
vente est justifié.
S’il existe un lien contractuel entre, par exemple, un concédant et un concessionnaire sur la
base duquel il est conclu des contrats de vente successifs et que le concédant doit livrer des
voitures, le refus de vente constituera en principe une inexécution contractuelle. Il n’est pas
permis à un concédant de décider sans plus unilatéralement d’arrêter la fourniture. Il en va de
même pour toute espèce de contrat qui règle la relation entre les parties Dans ces cas, le refus
de vente compromettra normalement la responsabilité contractuelle de la partie qui oppose ce refus.
Si toutefois il n’existe pas de relation contractuelle entre les parties, le refus de vente sera
en principe accepté. En effet, dans notre système juridique, la liberté de contracter et
d’entreprendre est garantie. Le Décret d’Allarde, en vigueur depuis 1791, autorise chaque
entreprise à contracter avec qui elle le veut. Le refus de vente est considéré comme la
conséquence de l’autonomie de la volonté et est dès lors légitime en tant que tel.
Toutefois, comme d’autres droits et libertés, le droit de refuser une vente n’est lui non plus pas
absolu. La liberté de contracter est délimitée d’une part par la Loi du 15 septembre 2006 sur la
protection de la concurrence économique (ci-après LPCE) et d’autre part par la théorie de l’abus de
droit.
Durant la période précontractuelle aussi, une certaine prudence s’impose. Bien que les parties ne
soient pas encore arrivées, dans cette phase, à un contrat effectif, la rupture abrupte des
négociations peut impliquer la responsabilité précontractuelle.
Les articles 101 et 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne (ci-après TFUE) constituent la base de la concurrence libre et honnête. L’application belge de ces articles se retrouve dans les articles 2 et 3 de la Loi sur la Protection de la Concurrence Economique (ci-après LPCE). Lorsque le refus de vente implique une violation de ces dispositions, il sera généralement sanctionné.
Pour pouvoir conclure à pareille violation, il faut que plusieurs conditions soient remplies.
En effet, le seul fait que le refus de vente peut, en tant que tel, limiter la concurrence sur le
marché, n’est pas suffisant. Une violation exige que le refus de vente soit la conséquence d’un
cartel illégitime ou de l’exploitation abusive d’une position dominante.
Autrement dit, lorsque deux producteurs automobiles conviennent de ne pas approvisionner certains
distributeurs, il peut être question d’une violation de la libre concurrence lorsque cette
convention entre les entreprises limite ou perturbe la libre concurrence. A cet égard, il existe
toutefois des exceptions qui font que certaines conventions ne sont pas censées constituer une
infraction à la libre concurrence. Sur la base de l’article 101, §3 du TFUE, la Commission
Européenne a le pouvoir d’accorder des exonérations de groupe, ce qui a pour conséquence que
l’interdiction de cartel ne sera pas applicable dans ces conditions.
Une violation de l’interdiction de cartel peut en outre avoir de lourdes conséquences. Les
tribunaux nationaux peuvent annuler la convention qui précède le refus de vente, alors que la
Commission Européenne a le pouvoir de pénaliser sévèrement les infractions en matière de cartel.
Aussi longtemps qu’une entreprise refuse, sur une base indépendante, de vendre à un certain
preneur, elle ne peut pas être sanctionnée sur la base de l’article 101, §3 TFUE. Si d’autre part,
il peut être constaté que cette entreprise abuse, lors du refus, de sa position dominante, elle
court le risque d’être sanctionnée sur la base de l’article 102 TFUE ou de l’article 4 LPCE. Ceci
implique qu’une entreprise qui se trouve dans une situation dominante ne peut pas refuser sans plus
de fournir ses produits ou services à celui qui le demande.
Un refus de vente d’une entreprise qui se trouve dans une position dominante ne sera autorisé que
si le refus est justifié de manière objective. Cela résulte de la responsabilité particulière que
porte une entreprise dominante. Un facteur important pour apprécier si le refus est oui ou non
juste, est la présence d’alternatives sur le marché pour l’acheteur. Lorsque l’autorité nationale
en matière de concurrence, le tribunal ou la commission européenne ne peut pas constater une
justification économique objective pour le refus, ils sont compétents à imposer, outre une amende
pécuniaire ou une astreinte, une obligation de livraison.
Il est entretemps devenu habituel que certaines marques de voiture approvisionnent leurs
distributeurs par des réseaux de distribution sélectifs. Ce système est monté par un producteur
qui, préalablement à la vente, sélectionne quelques distributeurs, qui sont à leur tour les seuls à
pouvoir vendre les produits du producteur. Ces systèmes ont pour but de maintenir élevé un certain
standard qui va de pair avec ce produit.
Il ne reste plus que la question de savoir quand un producteur qui refuse d’admettre un certain
marchand automobile dans son réseau agit en contravention avec la libre et honnête concurrence.
Pour y répondre, il faut d’abord examiner si un réseau de distribution qualitatif ou quantitatif a
été fondé. Un réseau quantitatif implique que le nombre de preneurs est limité et n’est en
principe pas autorisé. Un réseau de distribution qualitatif par contre vise à ce que le producteur
puisse imposer certaines exigences à ses distributeurs pour faire partie du réseau. Cette espèce
de réseau est acceptée à la condition que les exigences ou les critères soient fixés de manière
uniforme et non discriminatoire pour tous les distributeurs. Songeons, par exemple, aux couleurs
et à l’aménagement de la salle d’exposition, à la superficie du garage, etc. Ces critères doivent
dès lors être requis pour garantir la qualité du produit concerné. Le refus de vente est dans ce
cas légitime si un preneur n’y satisfait pas.
Enfin, une autre possibilité consiste à sanctionner le refus de vente sur la base d’un abus de
droit. Cette possibilité n’est toutefois pas un réel succès.
En effet, il ne sera question d’un abus de droit que lorsqu’il pourra être prouvé que l’entreprise
qui oppose un refus n’a pas d’intérêt au refus et que ce refus a pour but de nuire à la partie
adverse. Dans ce cas, l’entreprise lésée devra démontrer que le refus est purement discriminatoire
ou qu’il cause un déséquilibre manifeste entre les parties. Le tribunal ne possède à cet égard
qu’un contrôle marginal – en effet, il ne peut agir de manière modératrice qu’en cas de dépassement
manifeste de l’équité – et on ne peut pas perdre de vue qu’il est évidemment permis à une
entreprise de définir elle-même sa stratégie commerciale. Par exemple, il est en principe permis
qu’une entreprise refuse d’approvisionner une certaine entreprise lorsque son concurrent passe une
commande plus importante.
Il s’agit souvent là d’une question factuelle qui sera appréciée au cas par cas par le tribunal.
Notre système juridique belge ne prévoit pas une interdiction générale du refus de vente. Le refus de vente sera sanctionné lorsque l’acte sera contraire à la législation en matière de concurrence ou sera considéré comme un abus de droit. Dans le cadre d’un réseau de distribution sélectif, il est important de se baser sur des standards transparents et uniformes et, lorsque l’entreprise se trouve dans une position dominante, elle doit faire preuve d’une certaine prudence. Si ces règles sont respectées, une entreprise ne devra en principe pas se justifier lorsqu’elle refusera de contracter.