- Droit Social
- Laetitia Roelandts - Marcel Houben
Le droit au respect de la vie privée est un droit fondamental qui est protégé tant par la
Convention Européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales que par
la Constitution Belge. D’ici découle le droit de la vie privée du salarié. Entre ce droit et le
droit de contrôle de l’employeur, qui résulte de la relation d’autorité avec le travailleur, existe
une tension. Afin de trouver un équilibre entre ces deux droits, le gouvernement et les partenaires
sociaux ont tous les deux pris des initiatives en vue de régler cette affaire. Ainsi les
partenaires sociaux ont conclu trois conventions collectives de travail fixant les règles
concernant les modalités du contrôle sur le lieu de travail par surveillance moyennant caméra (CCT
n° 68 du 16 juin 1998), du contrôle sur l’utilisation des données de communication électronique en
réseau (CCT n° 81 du 26 avril 2002) et des contrôles de sortie des travailleurs quittant
l'entreprise ou le lieu de travail (CCT n° 89 du 30 janvier 2007). Ces trois conventions
collectives de travail ont été rendues obligatoires par arrêté royal. Ce sont donc des règles
d’ordre public qui peuvent être sanctionnées pénalement (au moins jusqu’à l’entrée en vigueur des
stipulations y afférant du Code Pénal Social).
La structure de ces CCTs est parallèle: l’exercice du contrôle est chaque fois soumis au respect
de trois principes: le principe de finalité, le principe de proportionnalité et le principe de
transparence. Le principe de finalité implique que l’employeur peut exécuter un contrôle lorsqu’il
poursuit des buts légitimes (par exemple la protection des intérêts de l’entreprise (CCT n° 81) et
la protection des biens de l’entreprise (CCT n° 68)). Le principe de proportionnalité détermine que
la mesure de contrôle, qui constitue une intervention dans la vie privée du salarié, doit être
appropriée pour atteindre l’objectif justifié et que la mesure ne peut intervenir dans la vie
privée du salarié que d’une manière aussi réduite que possible. Finalement le principe de
transparence impose à l’employeur une obligation d’information aussi bien individuellement que
collectivement. Ainsi, l’employeur qui envisage l’installation d’un système de contrôle, doit au
préalable informer les travailleurs et leurs représentants de l ‘existence, du fonctionnement et
des objectifs de ce système de contrôle.
Malgré les règles imposées, la tension entre le droit de la vie privée du salarié et le droit de
contrôle de l’employeur subsiste, particulièrement en matière des preuves obtenues par l’employeur
d’une manière illicite. Cette problématique se manifeste surtout dans le cas d’un licenciement pour
motif grave. En effet, lorsque l’employeur constate un motif grave et licencie le salarié, il a la
charge de preuve. Si la preuve est obtenue moyennant une technique de contrôle licite, mais les
règles, établies par les CCTs rendues obligatoires qui déterminent les modalités suivant lesquelles
les contrôles peuvent être effectués (comme l’obligation d’information), ne sont pas respectées,
la preuve est obtenue en principe d’une manière illicite. Dès lors, la question se pose quelle
valeur le juge peut donner à cette preuve. Les tribunaux du travail et les cours du travail
maintenaient (maintiennent ?) généralement qu’on ne peut tenir compte de telles preuves obtenues
illicitement. La conséquence éventuelle en est que le travailleur peut enfreindre la loi sans être
sanctionné. Ainsi la cour du travail d’Anvers a jugé dans un arrêt du 6 janvier 2003 que la preuve,
obtenue illicitement par vidéo et prouvant le vol commis par le travailleur, ne pouvait pas être
utilisée pour juger l’affaire.
Dans l’arrêt du 10 mars 2008, la Chambre Néerlandophone de la Cour de Cassation se penchait sur une
affaire dans laquelle l’Office National de l’Emploi (ONEM) décidait de suspendre un chômeur, parce
qu’il travaillait dans le magasin de son frère. La police avait rédigé un procès-verbal constatant
ces activités du chômeur et avait envoyé le procès-verbal à l’inspection sociale. Cependant,
transmettre un tel procès-verbal à l ‘inspection sociale est interdit étant donné que de cette
façon le secret de l’information pénale est violé. Tout de même, l’ONEM décidait sur base de ce
procès-verbal de suspendre le payement de l‘allocation de chômage au chômeur. La cour du travail
annulait la décision de l’ONEM parce qu’elle avait été prise sur base d’un procès-verbal recueilli
illicitement.
La Chambre Néerlandophone de la Cour de Cassation a cassé la décision de la cour du travail et
maintenait qu’un juge ne peut pas rejeter une preuve uniquement sur base de la constatation que la
preuve a été obtenue de façon illicite, mais que le juge doit se prononcer sur l’admissibilité de
la preuve et ne peut refuser la preuve qu’en cas du non-respect d’une formalité prescrite à peine
de nullité, si la manière, à laquelle la preuve a été obtenue, porte atteinte à la fiabilité de la
preuve ou au droit à un procès équitable. Pour en juger, le juge – selon la Chambre Néerlandophone
de la Cour de Cassation – peut tenir compte d’un nombre de circonstances. Par cet arrêt, la Chambre
Néerlandophone de la Cour de Cassation étend sa jurisprudence relative aux affaires pénales (arrêt
Antigoon du 14 octobre 2003) aux affaires civiles.
Néanmoins, la question reste ouverte comment les choses évolueront, surtout parce que la Chambre
Francophone de la Cour de Cassation, dans son arrêt du 10 novembre 2008, n’a pas suivi cette
décision de la Chambre Néerlandophone.
Aussi longtemps qu’il n’est pas clair quelle tendance sera suivie par les tribunaux du travail et
les cours du travail, il s’agit de faire bien attention.