Analyse
Il peut être utile, pour un fabricant, de décider de coopérer de manière exclusive avec certains des distributeurs qui vendent ses produits. Et pour un distributeur, il peut également être intéressant de ne travailler qu'avec un nombre limité de fournisseurs, ou du moins de pouvoir faire une distinction entre certains distributeurs.
Pour le consommateur final, cependant, une concurrence entre un maximum de fournisseurs est généralement la meilleure garantie d'un prix intéressant.
Afin de protéger cet équilibre délicat entre les intérêts des fabricants et des distributeurs d'une part, et ceux des consommateurs finaux d'autre part, la Commission européenne a publié en 2010 un règlement d’exemption restrictions verticales.
Une première évaluation avait montré que le système d'exemption par catégorie existant n’était pas suffisamment adapté à la numérisation croissante de l'économie et aux ventes en ligne, qui sont devenues une réalité quotidienne.
Pour cette raison, un règlement révisé d'exemption restrictions verticales entrera en vigueur le 1er juin 2022.
Bien que la version finale n'ait pas encore été votée, nous estimons qu'il est grand temps de regarder de plus près les changements les plus importants que ce règlement introduira.
1. Qu'est-ce que le règlement d’exemption restrictions verticales ?
Le règlement crée une exception à l'interdiction principale des ententes pour certains accords verticaux.
Un « accord vertical » est un accord (ou des pratiques concertées) formé entre deux ou plusieurs entreprises opérant à différents niveaux de la chaîne de production ou de distribution, qui porte sur les conditions auxquelles les parties peuvent acheter, vendre ou revendre certains de leurs biens ou services. Classiquement, ce type d’accord règle la relation entre le fabricant et le distributeur (convention de distribution) ou le grossiste et le détaillant (convention d'achat).
Les accords verticaux entre entreprises ne sont valables que s'ils remplissent les conditions énoncées dans le règlement. Si cela n'est pas le cas, ils sont interdits et donc inopposables, et ils peuvent même entraîner des amendes.
2. L’objectif de ces changements ?
La réforme actuelle est principalement due à la numérisation croissante de notre économie et à la croissance irrépressible des ventes en ligne, ainsi qu'à l'émergence de grandes entreprises et plateformes de commerce électronique.
La Commission européenne avait également déjà remarqué que certaines pratiques tombaient à tort dans le champ de l'exemption par catégorie, de sorte que dans certains cas, les règles semblaient être trop ou pas assez strictes.
La Commission européenne a donc souhaité, d'une part, adapter le règlement à cette nouvelle réalité et, d'autre part, harmoniser davantage son application dans l'Union européenne afin que les entreprises puissent commercialiser leurs biens et services à travers le continent aussi facilement que possible.
La Commission européenne vise trois objectifs principaux à travers la réforme actuelle, à savoir :
- Éliminer les accords qui tombent injustement en dehors ou à l'intérieur de l'exemption par catégorie. En conséquence, l'exemption par catégorie sera plus stricte pour certains types d'accords mais plus souple pour d'autres ;
- Moderniser les lignes directrices en réponse à la croissance du commerce électronique et des plateformes en ligne et assurer une application plus harmonisée des règles dans l'ensemble de l'Union européenne ;
- Réduire les coûts de mise en conformité pour les entreprises en introduisant des simplifications dans les domaines où les règles actuelles sont complexes, et en rationalisant les orientations existantes.
3. Qu'est-ce qui change ?
Comme déjà indiqué, la Commission européenne propose à la fois des exigences plus strictes et un certain nombre d'assouplissements pour tenir compte de la numérisation de nombreux aspects de l'économie.
Nous allons examiner de plus près certains de ces changements importants.
3.1 Accord de double distribution (ou distribution duale)
Les accords de double distribution sont un premier type d’accord réglementé par le règlement d’exemption restrictions verticales. Dans le cadre d'un accord de distribution double, un fournisseur distribue ses produits ou services non seulement par l'intermédiaire de distributeurs indépendants, mais aussi directement aux clients finaux. Par conséquent, ce fournisseur est en concurrence directe avec ses propres distributeurs indépendants, ce qui peut poser un problème de concurrence.
La double distribution a émergé avec la numérisation du marché, car il est devenu beaucoup plus facile pour les fabricants et les fournisseurs d'atteindre les clients finaux directement par le biais de leurs propres boutiques en ligne ou de places de marché en ligne (comme amazon.com ou bol.com).
La Commission européenne est également consciente que la double distribution est devenue de plus en plus courante et que les ventes directes par les fournisseurs par l'intermédiaire de leurs propres boutiques ou places de marché en ligne sont une réalité.
Toutefois, la Commission craint que les fournisseurs et les distributeurs (qui sont en principe des concurrents pour leurs clients finaux) n'échangent des informations commerciales sensibles, telles que des informations sur les prix, les promotions ou les clients, et coordonnent ainsi, par exemple, leurs prix.
La Commission a donc été décidé d'être plus stricte en ce qui concerne l'échange d'informations entre les fabricants et les distributeurs : à l'avenir, ceux-ci ne seront plus autorisés à échanger aucun type d'information.
Cette interdiction d’échange d’information entre le fabricant et le distributeur n’entre en ligne de compte que lorsque la part de marché du fabricant et du distributeur dépasse les 10%.
3.2 Clause de la nation la plus favorisée
Dans le cadre d’une clause de la nation la plus favorisée (NPF), également appelée « most favoured nation clause » ou clause de parité, une entreprise s'engage à offrir à sa partie contractante des mêmes conditions ou des conditions meilleures que celles qu’elle offre à n’importe quel autre canal de vente. En d'autres termes, elle s'engage à ce que les biens ou les services ne soient pas proposés moins chers ailleurs.
Ces clauses NPF bénéficient d'une exemption par catégorie dans le cadre du règlement actuel. Il est donc actuellement permis de rédiger de telles clauses entre les entreprises et les parties contractantes.
Cependant, les recherches et l'évaluation de la Commission européenne ont montré que l'utilisation des clauses NPF augmente dans tous les secteurs, et certainement sur les plateformes en ligne (par exemple booking.com).
La Commission européenne propose maintenant d'abolir l'exemption par catégorie pour ces clauses NPF. Concrètement, cela signifie que de telles clauses NPF seront interdites.
3.3 Distribution sélective et exclusive
En vertu de l'actuel règlement d'exemption par catégorie, il est possible, sous certaines conditions, de ne confier la vente de vos produits qu'à un réseau limité de distributeurs, ce qui, par définition, restreint également la concurrence dans une certaine mesure. Cela est possible par le biais du système de distribution sélective ou le système de distribution exclusive.
Dans le cadre du nouveau règlement, ces possibilités sont élargies en prévoyant également une exemption pour la distribution exclusive dite partagée.
Expliquons d'abord brièvement la distribution sélective et exclusive avant de passer au nouveau système d'exclusivité partagée.
a. Distribution sélective
Un système de distribution sélective signifie un système de distribution dans lequel :
- le fournisseur s'engage à ne vendre les biens ou services contractuels, directement ou indirectement, qu'à des distributeurs sélectionnés sur la base de critères définis, et dans lequel
- ces distributeurs s'engagent à ne pas vendre ces biens ou ces services à des distributeurs non agréés dans le territoire réservé par le fournisseur pour l’opération de ce système.
b. Distribution exclusive
La distribution exclusive signifie que le fournisseur alloue un territoire ou une clientèle exclusivement à lui-même ou à un acheteur ou un nombre restreint d'acheteurs. Elle empêche les autres acheteurs de vendre activement sur le territoire exclusif ou à la clientèle exclusive.
c. Exclusivité partagée dans la version révisée du règlement d'exemption par catégorie
Dans le cadre d’un accord « d’exclusivité partagée », le fournisseur peut désigner plus d'un acheteur comme distributeur exclusif sur un territoire donné ou pour une clientèle donnée, ou appliquer une combinaison de distribution exclusive et distribution sélective.
La distribution exclusive ne peut toutefois pas être utilisée pour protéger les distributeurs exclusifs communs de la concurrence en dehors du territoire des distribution exclusive, car cela conduirait à une fragmentation du marché unique, ce qui est interdit. Les lignes directrices révisées stipulent que le nombre de distributeurs doit être proportionnel à la taille du territoire.
3.4 Ventes en ligne
Alors que sous le régime d'exemption par catégorie précédente, la Commission européenne souhaitait encourager et protéger les ventes en ligne, le nouveau régime n'estime plus cela nécessaire aujourd’hui et les règles ont été adaptées en conséquence.
Les restrictions qui, directement ou indirectement, isolément ou en combinaison avec d'autres facteurs, visent à (i) empêcher les distributeurs d'utiliser efficacement l'internet pour vendre leurs biens ou services ou (ii) utiliser efficacement un ou plusieurs canaux de publicité en ligne sont considérées comme une restriction caractérisée aux ventes en ligne.
La question décisive sera donc de savoir ce que signifie exactement la formulation « l’utilisation effective de l’internet à des fins de vente en ligne ou l’utilisation effective de certains canaux publicitaires en ligne » contenue dans le règlement.
A priori, cette formulation ne signifie pas qu'il est totalement impossible d'imposer des restrictions en rapport avec les ventes en ligne, par exemple pour garantir que des ventes suffisantes soient réalisées dans un magasin physique.
3.5. Double prix
Dans le système de double prix, le distributeur est obligé de payer un prix différent pour les produits destinés à être vendus en ligne par rapport aux produits destinés à être vendus hors ligne.
Jusqu'à présent, le double prix était considéré comme une restriction caractérisée et donc interdite, mais la Commission européenne a décidé d'assouplir sa position stricte en la matière. La situation de la vente en ligne a tellement évolué que l'on souhaite désormais protéger les magasins physiques et encourager la vente hors ligne.
Il y a toutefois une condition : l'assouplissement ne s'applique que dans la mesure où la double tarification vise à encourager ou à récompenser un niveau d'investissement adéquat, et lorsque la différence est proportionnée aux coûts liés à chaque canal de vente.
Dans le cadre d'un système de distribution sélective, les critères imposés par les fournisseurs pour les ventes en ligne ne devront plus nécessairement être globalement équivalents à ceux imposés aux point de vente physique. Après tout, les deux canaux sont de nature différente et la Commission européenne en tient enfin compte dans le règlement révisé d'exemption par catégorie verticale.
4. Conséquences et conclusion
En principe, les modifications susmentionnées entreront en vigueur le 1er juin 2022 et pourront avoir des conséquences importantes pour le fonctionnement de entreprise.
Si vous souhaitez obtenir plus d'informations à ce sujet ou si vous avez besoin d'assistance, n'hésitez pas à contacter nos spécialistes via info@seeds.law ou +32 (0)2 747 40 07.