Case
Nos articles du 28 novembre 2023 et du 30 janvier 2024 ont déjà abordé en détail le nouveau régime de TVA applicable aux projets de démolition et de reconstruction à partir du 1er janvier 2024. Cette réglementation est particulièrement contraignante pour les promoteurs immobiliers, les entreprises clés en main et les investisseurs privés.
On peut en dire autant d'un récent arrêt de la Cour de cassation.
Dans ce qui suit, nous examinerons d'abord cet arrêt, puis nous le relierons au nouveau régime de TVA. Enfin, nous aborderons quelques points d'intérêt pour la pratique.
1. La Cour de cassation confirme l'abus fiscal
A l’époque, la vente d'un projet de démolition et de reconstruction était soumise au taux de TVA de 21 % (en tant que rénovation). Pour les acheteurs privés (qui n'ont pas le droit de déduire la TVA), cette taxe représente un coût supplémentaire important.
Pour y remédier, une solution créative a été élaborée. Il s'agissait de vendre un bien immobilier dans son état actuel (y compris le terrain) à l'acheteur, en l'assortissant d'un contrat de construction (souvent par l'intermédiaire d'une société associée) dans le but de rénover le bien en profondeur. De cette manière, le bien existant pouvait être vendu avec des droits d'enregistrement (10 % à l'époque et maintenant 12 %), tandis que les travaux de rénovation pouvaient être facturés au taux de TVA de 6 %.
Or, cette pratique est considérée par l'administration comme un abus fiscal. L'administration estime que les deux opérations sont inextricablement liées, ce qui en fait une opération complexe soumise dans son intégralité au taux de TVA de 21%.
L'administration a été suivie, entre autres, par le Tribunal de première instance de Liège et ensuite par la Cour d'appel de Liège. Selon cette jurisprudence, l'intention de l'acheteur n'était pas de conclure deux contrats distincts, mais bien d'acheter un bien immobilier entièrement rénové sur lequel le taux normal de TVA de 21% était dû.
La Cour de cassation a confirmé l'arrêt de la Cour d'appel de Liège.
En raison de l'abus fiscal, la TVA sera due non seulement sur les bâtiments existants, mais aussi sur le terrain. Les droits d'enregistrement payés précédemment peuvent en principe être récupérés par le biais d'une procédure d'opposition. Mais dans le cas d'un litige de longue durée, il n'est pas exclu que le délai pour entamer une telle procédure d'opposition ait déjà expiré. Le risque est alors de devoir payer à la fois les droits d'enregistrement et la TVA sur le terrain et les bâtiments existants, ce qui est évidemment un cauchemar financier.
Par conséquent, un promoteur immobilier confronté à un contrôle fiscal dans le cadre d'une affaire similaire serait avisé, sous toutes réserves, d'engager d'ores et déjà une procédure d'opposition en vue du remboursement des droits d'enregistrement déjà acquittés.
2. Lien avec le nouveau régime de TVA pour les projets de démolition et de reconstruction
La procédure décrite ci-dessus avait été reléguée au second plan ces dernières années. En effet, depuis le 1er janvier 2021, il existait un régime temporaire de TVA permettant de vendre des projets de démolition et de reconstruction au taux de TVA de 6 %.
Ce régime favorable a toutefois pris fin au début de cette année (voir nos articles du 28 novembre 2023 et du 30 janvier 2024 à ce sujet). Les promoteurs immobiliers se retrouvent donc dans la situation initiale où la vente de projets de démolition et de reconstruction est soumise au taux de TVA de 21%.
Par conséquent, les promoteurs immobiliers qui ont l'intention de trouver une solution en utilisant la méthode décrite ci-dessus doivent tenir compte de l'arrêt de la Cour de cassation. Après tout, l'avantage potentiel qu'ils envisagent de tirer de l'élaboration d'un tel projet pourrait s'avérer être un fardeau financier.
3. Pas d'abus fiscal en cas de motifs non fiscaux suffisants
Pour qu'il y ait abus, l'administration doit démontrer qu'un avantage fiscal est accordé contrairement à la finalité du régime de TVA (élément objectif) et que l'ensemble des éléments objectifs montre que l'obtention de cet avantage est le but essentiel de l'opération (élément subjectif).
Si le contribuable peut démontrer que son opération était effectivement soutenue par d'autres motifs pertinents (non fiscaux), il n'y aura pas d'abus fiscal.
Ainsi, dans l'affaire que la Cour de cassation a dû évaluer en dernier ressort, il y a bien eu abus fiscal selon la Cour. Dans ce cas, les éléments spécifiques suivants ont été pris en compte :
- le projet immobilier était présenté aux acheteurs comme l'achat d'appartements achevés ;
- les contrats de rénovation ont été signés le même jour que le compromis de vente ;
- le prix de l'appartement, rénovation comprise, était connu exactement au moment où l'option d'achat a été prise ;
- les travaux de rénovation ont été payés en grande partie avant la rédaction de l'acte notarié de vente.
Si ces éléments spécifiques ne sont pas présents, il ne peut pas être exclu qu’il n’y a pas d’abus fiscal. Il en va de même si la société qui vend le terrain et les bâtiments existants et la société chargée de la rénovation sont totalement indépendantes du point de vue de la structure de leur actionnariat. Une entreprise commune pourrait alors être créée entre les deux sociétés. Dans une telle situation, le taux de TVA de 6 % pourrait encore être d'application.
4. A ne pas confondre avec la vente fractionnée de terrains et de bâtiments
La pratique décrite ci-dessus ne doit pas être confondue avec une autre pratique courante dans le secteur, à savoir la vente scindée du (seul) terrain par la société A avec les droits d'enregistrement combinée à la vente des bâtiments par la société B avec la TVA.
En matière de TVA, une telle vente (livraison) avec le terrain attenant est spécifiquement réglementée par une décision anticipée de l'administration fiscale de 2010. Il ressort brièvement de cette décision qu'un terrain et un bâtiment transférés simultanément par la même personne sont tous deux soumis à la TVA. Toutefois, il est reconnu que la pratique commerciale consistant à travailler avec deux vendeurs différents (c'est-à-dire un pour le terrain et un pour le nouveau bâtiment) pour des raisons économiques et/ou financières est néanmoins courante dans le secteur immobilier. Cette pratique courante n'est pas considérée comme un abus de droit aux fins de la TVA dans cette situation particulière, à condition que le même comportement soit suivi de manière constante, quelle que soit la qualité de l'acheteur. Concrètement, cette pratique constante signifie que le terrain est vendu à chaque fois par la société foncière en appliquant les droits d'enregistrement et les bâtiments par le promoteur immobilier en appliquant la TVA, tant dans le cas d'une vente à un particulier (sans droit à déduction) que dans le cas d'une vente à un assujetti à la TVA (avec droit à déduction).
Pour autant que cela soit fait de manière cohérente, le terrain peut donc être vendu par la société A avec les droits d'enregistrement en même temps que la vente des empiétements par la société B avec la TVA.
Toutefois, l'absence d'abus fiscal n'élimine pas la possibilité de simulation. Or, en matière fiscale, il n'y a pas de simulation interdite lorsque les parties, en vue d'obtenir un régime fiscal avantageux et en faisant usage de leur liberté contractuelle, sans violer aucune obligation légale, accomplissent des actes juridiques dont elles acceptent toutes les conséquences. Concrètement, cela signifie que les parties impliquées doivent respecter chacune leurs responsabilités, leurs risques et leurs marges bénéficiaires en fonction de leurs parts respectives dans le projet.
Ceci doit donc continuer à être pris en compte dans le développement des projets immobiliers.
5. Conclusion
Il est certain que le récent arrêt de la Cour de cassation et le nouveau régime de TVA auront un impact négatif sur la pratique immobilière. Toute option alternative pour y remédier doit toujours être mise en œuvre avec prudence. Une approche irréfléchie pourrait en effet avoir des conséquences financières désastreuses.
Vous avez besoin d'aide pour structurer (fiscalement) votre projet immobilier ou vous êtes confronté à un contrôle fiscal ? N'hésitez pas à contacter nos spécialistes chez Seeds of Law au +32 (0)2 747 40 07 ou via info@seeds.law.
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